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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/606

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de liberté comme nous naissons avec l’idée de l’espace, et il nous est aussi difficile de nous passer de cette idée que de l’idée de l’espace même. Bien plus, nous venons au monde avec la persuasion de notre liberté. La liberté est donc la forme héréditaire de la conscience humaine, et le désir de la liberté est l’instinct humain par excellence.

D’après ce qui précède, si j’ai le sentiment de n’être pas déterminé dans un acte, ce peut être précisément parce que la détermination individuelle ou générique y est entière. En effet, pour sentir une nécessité et une contrainte, c’est-à-dire au fond un obstacle, il y faut résister en quelque mesure et par cela même n’être pas complètement entraîné ; mais, si la détermination se confond avec mon action même, ou plutôt avec mon vouloir, je n’ai plus que le sentiment d’une spontanéité entière. Il ne faut pas se figurer toujours le déterminisme sous la forme anthropomorphique d’une contrainte matérielle, comme celle d’un bras contraint par un autre bras ; le déterminisme peut se développer intérieurement à la volonté et au moi ; il peut être la volonté même et le moi ; il peut être tellement dégagé de résistances extérieures que toute idée de contrainte disparaisse et que la nécessité immanente se voie elle-même spontanéité. La conscience ne saurait donc nous apprendre ni si nous sommes réellement libres, ni s’il existe une réelle puissance enveloppant des possibles, une réelle contingence, par cela même une réelle indétermination des futurs.

Passons maintenant du point de vue subjectif au point de vue des faits objectifs, et examinons si les actions humaines offrent à la science un élément d’indétermination.

II

la contingence des futurs et sa prétendue vérification par les attentes égales dans les jeux de hasard.

Presque tous les philosophes mathématiciens, avec Laplace, Buckle et Stuart Mill, ont trouvé dans le calcul des probabilités et dans la statistique la confirmation du déterminisme ; quelques-uns cependant ont essayé, comme Quételet, de réserver à côté de ce déterminisme une place à la liberté et à la contingence ; enfin, on a poussé le paradoxe jusqu’à vouloir faire du calcul des chances une probabilité en faveur de la contingence des futurs, et même une sorte de vérification expérimentale du libre arbitre ; en nous faisant tirer au sort « dans les loteries », on s’est flatté de « mettre la liberté en expé-