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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/615

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FOUILLÉE. — le libre arbitre

Troisième objection. — La loi des grands nombres implique à priori, dit-on encore, et la statistique constate à posteriori des exceptions ; la loi des grands nombres ne peut donc prouver précisément que tous les actes soient prédéterminés sans exception ; ce serait faire servir les exceptions à prouver qu’il n’y en a pas. — Sophisme. Quand la statistique suppose des exceptions pour les faire rentrer dans la règle du déterminisme, elle ne suppose que des exceptions apparentes, des combinaisons particulières. Quelle « contradiction » y a-t-il à dire qu’une exception apparente n’est pas réelle ?

Quatrième objection. — La détermination du tout n’entraîne pas la détermination des parties. Supposons, a-t-on dit, des boules prenant leur couleur elles-mêmes dans une urne ; peu importe qu’elles l’aient d’avance ou la prennent au moment de l’extraction, pourvu que la proportion du noir et du blanc subsiste[1]. — Mais, si les boules prenaient réellement elles-mêmes leur couleur, la proportion pourrait-elle subsister ? — Oui, dit-on, en raison des causes qui tendent à rendre telle boule blanche plutôt que noire[2]. — À la bonne heure ; mais alors ce sont les causes qui agissent, et votre libre arbitre est tout platonique. S’il était réel et agissant, il y aurait ici encore un point indéterminé, sans loi, qui suffirait à contrebalancer toutes les autres lois, et vous ne pourriez plus, par exemple, imposer par le calcul aux boules d’une urne cette loi à priori : — Sur mille tirages, vous serez neuf cent quatre-vingt-dix-neuf blanches et une noire.

    valeur de l’élément mesurable des phénomènes entre des limites aussi rapprochées que possible. Jamais on n’atteint le point précis où le phénomène commence et finit réellement… Ainsi nous ne voyons en quelque sorte que les contenants des choses, non les choses elles-mêmes. » Mais M. Boutroux ajoute : — « Nous ne savons pas si les choses occupent dans leurs contenants une place assignable. À supposer que les phénomènes fussent indéterminés, mais dans une certaine mesure seulement, laquelle pourrait dépasser invinciblement la portée de nos grossiers moyens d’évaluation, les apparences n’en seraient pas moins exactement telles que nous les voyons. On prête donc aux choses une détermination purement hypothétique, sinon inintelligible, quand on prend au pied de la lettre le principe suivant lequel tel phénomène est lié à tel autre phénomène » (p. 28). — Il nous semble que l’ingénieux métaphysicien se place ici au contre-pied de la vérité, et qu’on pourrait lui dire : C’est précisément votre hypothèse de l’indétermination qui est 1o « inintelligible », 2o « purement hypothétique », 3o « contraire à toute induction ». En effet, si je puis, même expérimentalement, « resserrer la valeur » de l’élément prétendu indéterminé entre des limites aussi rapprochées qu’il est possible, c’est le cas de passer à la limite en disant que l’indétermination supposée est comme si elle n’existait pas ; de même, si je vérifie ma loi de physique entre des limites indéfiniment rapprochées, il ne me viendra jamais à l’esprit de supposer qu’en allant plus loin la loi cesse à moins qu’elle ne se compose avec une autre loi.

  1. M. Renouvier, ibid..
  2. Ibid.