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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/641

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TANNERY. — anaximène et l’unité de la substance

éclipses), il est permis de croire que celle dont il s’agit ici ne remonte pas jusqu’au Maître lui-même[1].

Ainsi, en même temps que nous trouvons dans la conception cosmologique d’Anaximène, un motif pour le séparer chronologiquement d’Anaximandre, nous n’en rencontrons point qui dénote chez lui une connaissance quelconque des doctrines pythagoriciennes ; pour Xénophane, on arriverait au même résultat négatif ; le seul rapprochement que l’on puisse faire, qu’Anaximène et Xénophane aient donné des explications assez semblables de l’arc en ciel[2], est évidemment d’un caractère accidentel, quand même on admettrait que le phénomène en question avait été négligé par Anaximandre.

Une des questions que nous avons soulevées au début de cette étude se trouve ainsi épuisée. Mais avant de passer à l’autre, la liaison des opinions d’Anaximène avec les doctrines postérieures, nous devons signaler un autre progrès scientifique sérieux dont son œuvre témoigne par rapport à l’époque d’Anaximandre, et nous avons à y insister d’autant plus qu’il s’agit de données négligées par les historiens de la philosophie et de l’astronomie.

D’après Hippolyte (Philosoph. 7) Anaximène considère les astres comme de nature ignée, mais il admet que, dans l’espace qu’ils parcourent, circulent en même temps qu’eux et de la même façon des corps de nature terreuse. Stobée (eclog. I, 24) répète la même donnée en ajoutant que ces corps sont invisibles[3].

Zeller ne voit là que l’indication d’un noyau terrestre pour les astres ; cette opinion est en désaccord avec tous les témoignages qui représentent unaniment la substance des astres comme exclusivement ignée au yeux d’Anaximène ; elle est particulièrement en contradiction formelle avec la donnée propre à Stobée. Teichmüller pense qu’il s’agit de la voûte céleste solide ; mais le pluriel (σώματα ou φύσεις) est peu explicable dans cette hypothèse.

Comment le Milésien a-t-il pu être amené à imaginer ces astres obscurs circulant à côté des autres ? Il n’y a pas à en douter, c’était pour expliquer les éclipses et les phases de la lune. Qu’on se rap-

  1. Pour les communications que l’école a pu avoir, soit après Pythagore, soit de son vivant même, avec la Chaldée, que l’on songe, par exemple, à ce médecin Démocède, qui s’échappa de la cour de Darius, épousa la fille de Milon de Crotone, et joua un rôle actif dans les guerres civiles où sombra l’institut pythagorique (Hérodote, III, 129-137. Iamblique, de Pyth. vita ed. Kiessling. pp. 506, 512.).
  2. Placita, I, 5. — Xenophanis reliquiæ (Mullach, 15). Dans ces deux explications l’arc en ciel est considéré comme produit par l’action de la lumière solaire sur les nuées.
  3. Hippolyt. εἶναι δὲ καὶ γεώδεις φύσεις ἐν τῷ τόπῳ τῶν ἀστέρων συμπεριφερομένας ἐκείνοις. Stobée. περιέχειν δὲ τινα καὶ γεώδη σώματα συμπεριφερόμενα τούτοις ἀόρατα.