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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/656

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et évidentes, qui servent de règle pour juger de la vérité des choses, mais qui ne nous font connaître l’existence d’aucune, avec les choses métaphysiques, qui sont des substances intelligentes[1]. » Pour Descartes comme pour Aristote, la métaphysique est la science de l’être réel, la science du concret et non la science vaine de l’abstrait.

L’analyse de Descartes devra donc s’arrêter au premier être qui lui sera clairement connu, à l’être dont une intuition lui dénoncera l’existence. Quel sera cet être sinon lui-même et dans quelle intuition apercevra-t-il cet être sinon dans l’intuition de la pensée ? Je pense, donc je suis, dira donc Descartes.

Il trouve dans sa conscience le sentiment de son existence si intimement lié à la conscience de sa pensée, qu’il ne peut les séparer ; je pense et je suis sont sans doute deux propositions distinctes dans le langage, mais le fait que constate Descartes et où il prend son point de départ n’est pas le fait de sa pensée pure, c’est le fait de l’aperception immédiate de son existence, dans sa pensée. Il ne voit pas d’abord la pensée, puis l’existence mais ensemble et du même coup l’existence unie indissolublement à la pensée ; il ne raisonne pas, il constate. Les formes analytiques du langage ne lui permettent pas de rendre sensible cette synthèse primitive, il y supplée autant qu’il le peut par cette conjonction donc qui a donné lieu à tant de méprises. Il a donc le droit de dire qu’il voit cette liaison « simplici mentis intuitu, par une simple inspection de l’esprit. » Avant cette expérience, il savait ce que c’est que le mode seul séparé de la substance, — ce que c’est que pensée, — et il pouvait douter encore ; il savait ce que c’est que la substance, — ce que c’est qu’existence, — et il doutait toujours ; mais, dès que la conscience de la pensée lui découvre le mode et la substance réunis dans une vivante synthèse, il ne doute plus.

L’analyse pousse Descartes encore plus loin. Il passe en revue les actes dans lesquels il constate la liaison de la pensée à l’existence. Ces actes sont tous des faits de conscience. À chaque fois que le moi sent, il s’affirme lui-même en affirmant ses modes, et en ce sens « c’est tout le même de dire : Je respire, donc je suis, que : Je pense, donc je suis[2]. » Or cette liaison constante du mode à la substance peut s’exprimer dans une proposition abstraite et générale qui est la loi générale de l’union des modes à leur substance. Descartes remarque alors : « Il n’y a rien du tout en ceci’ : Je pense, donc je

  1. La Métaphysique, avertissement, Système de philosophie, t.  I, p. 36, 3 vol.  in-4. Paris, 1690.
  2. Lettres, t.  IV, p. 169.