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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/658

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qu’après avoir subi, pour ainsi dire, le choc de l’expérience. Ici par exemple. Pour penser il faut être serait un de ces principes, sourds et enveloppés, qu’il faut savoir avant de constater le Je pense, donc je suis, mais ce ne serait qu’après la constatation de l’union de l’existence avec la pensée que Pour penser il faut être deviendrait clair et distinct. En sorte qu’il faudrait distinguer ici trois étapes de la connaissance : 1ola connaissance obscure de l’inclusion nécessaire d’une existence quelconque dans une pensée quelconque ; 2o la constatation expérimentale de l’inclusion de l’existence dans une pensée donnée ; 3o la connaissance distincte de la loi générale : pour penser il faut être, tout ce qui pense existe.

Cette explication est certainement conforme à la doctrine générale de Descartes sur les idées innées, et est d’autant plus recevable ici que le texte même de l’article des Principes où se trouve le passage que nous expliquons dit que « ces notions ne s’acquièrent point par l’étude, mais naissent avec nous ».

Mais allons plus loin : à supposer même que la connaissance du pour penser il faut être fût, non pas une connaissance obscure et enveloppée, à laquelle nous n’aurions pas plus pensé que l’enfant n’a pensé aux autres idées innées dans le ventre de sa mère, mais que ce fût une proposition dont nous entendrions les termes, le syllogisme reproché à Descartes n’existerait pas encore. Descartes ajoute en effet : « Ce sont là des notions si simples que d’elles-mêmes elles ne nous font avoir la connaissance d’aucune chose qui existe. » Or que veut Descartes ? Atteindre des existences, nous l’avons vu ; sortir des idées vaines, du formalisme abstrait de la scolastique, pour arriver à la connaissance du monde réel. Aussi ne fait-il pas porter

    avec nous, ne sont pas plus tôt aperçues qu’on pense ne les avoir jamais ignorées. » (Remarques sur les VIIes object., no 9, t.  II, p. 445.) — II explique encore sa pensée au début des Réponses aux VIes object. : « C’est une chose très assurée que personne ne peut être certain s’il pense et s’il existe, si premièrement il ne sait ce que c’est que la pensée et que l’existence, non que pour cela il soit besoin d’une science réfléchie ou acquise par démonstration, et beaucoup moins de la science de cette science, par laquelle il connaisse qu’il sait et derechef qu’il sait qu’il sait, et ainsi jusqu’à l’infini, étant impossible qu’on en puisse jamais avoir une telle d’aucune chose que ce soit ; mais il suffit qu’il sache cela par cette sorte de connaissance intérieure qui précède toujours l’acquise, et qui est si naturelle à tous les hommes, en ce qui regarde la pensée et l’existence, que bien que peut-être étant aveuglés par quelques préjugés, et plus attentifs au son des paroles qu’à leur véritable signification, nous puissions feindre que nous ne l’avons point, il est néanmoins impossible qu’en effet nous ne l’ayons. Ainsi donc, lorsque quelqu’un aperçoit qu’il pense, et que de là il suit très évidemment qu’il existe, encore qu’il ne se soit peut-être jamais mis en peine de savoir ce que c’est que la pensée et que l’existence, il ne se peut faire néanmoins qu’il ne les connaisse assez l’une et l’autre pour être en cela pleinement satisfait. » (t.  II, p. 352.)