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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/665

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fonsegrive. — les prétendues contradictions de descartes

suite ininterrompue de nos intuitions jusqu’à la caution divine, mais cet effort ne peut se recommencer tous les jours, et même ses résultats sont strictement limités à la connaissance de Dieu. Car Dieu est au fond de toutes nos idées, chacune de nos pensées l’enveloppe, mais n’enveloppe que lui. De sorte que la métaphysique serait possible avec l’intuition seule, mais les autres sciences ne le seraient pas.

Ainsi, en garantissant la mémoire, Dieu garantit tout, les sciences positives d’abord, comme l’a très bien vu M. Liard, puis la vérité du second mouvement de la méthode, la vérité de la synthèse et par là même la vérité absolue de l’évidence. « Cette considération seule délivre du doute hyperbolique, » qui mettait en question la valeur de toutes les opérations discursives de l’esprit, et, sans elle, « nous n’aurions aucune règle pour nous assurer de la vérité[1]. »

Descartes ne fait donc de restriction qu’en apparence lorsqu’il dit que la véracité divine ne garantit que la mémoire ; garantir la mémoire, c’est tout garantir. Le raisonnement le plus simple ne peut s’accomplir dans un seul temps. L’intuition ne me donne que le présent, un présent que j’ai senti éclore du passé et qui par conséquent est certain, mais en tant qu’il est présent, non en tant qu’il sort du passé. Ma connaissance intuitive est fragmentaire, ne s’appuie sur rien d’antérieur, ne s’avance vers rien de futur. Sans doute elle est certaine au moment que je la pense ; mais que j’en détourne un seul instant ma pensée, et ma certitude s’évanouit. Pour qu’il y ait science, il faut que je croie que cette intuition a été liée à d’autres intuitions dans le passé et qu’elle se rattachera à d’autres dans l’avenir. C’est donc bien en réalité toute connaissance scientifique que garantit Dieu en garantissant la mémoire, et les textes de Descartes ne se contredisent qu’en apparence.

Si maintenant on demande pourquoi Descartes n’a pas été plus clair et plus explicite, deux raisons se présentent, la première tirée des nécessités de la polémique, la seconde tirée du caractère même de Descartes.

Pourquoi d’abord Descartes aurait-il accordé à ses adversaires que c’était bien toute l’évidence que Dieu servait à garantir, quand il lui suffisait de maintenir ce qu’il avait avancé dans la Ve Méditation ? On l’attaquait sur cela ; fallait-il qu’il parût aggraver’encore ses premières théories ?

La seconde raison est toute historique. Déjà on associait les noms de Calvin et de Descartes dans les discussions sur l’Eucharistie à propos

  1. Lettres, t.  IV p. 144.