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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/70

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sation. On s’exprimerait mal en disant que l’immoralité, la tendance criminelle, manifestée aujourd’hui par un accroissement de fautes, existait autrefois à l’état latent. Ni psychologiquement, ni surtout socialement, cela n’est vrai, et cette soi-disant manifestation équivaut à une véritable réalisation, à un passage du néant à l’être. Car l’immoralité, au point de vue individuel, est essentiellement la rupture d’une habitude morale, rupture qui est la source d’une habitude immorale ; et, tant que l’habitude morale persiste, faute de tentations, n’importe, il y a moralité. Moralité apparente, dira-t-on ; mais, en apparaissant, elle est vue, elle sert d’exemple autour d’elle. Quand l’immoralité apparaît au contraire, c’est elle qui frappe les regards et rayonne imitativement dans son milieu, et c’est alors qu’au point de vue social elle prend naissance. La réalité sociale par excellence, en effet, est l’apparence, comme la force sociale par excellence est limitation sous toutes ses formes au sens actif et passif, l’ardeur croissante de prosélytisme et l’appétit surexcité d’assimilation. L’oubli de cette vérité capitale explique l’erreur du criminaliste italien et de bien d’autres.

Non seulement donc un délit de plus est à coup sûr un mal de plus, mais encore il est la source certaine ou probable de plusieurs maux nouveaux, et il convient d’aggraver, non d’atténuer le sens des révélations de la statistique. Qu’on se frotte les mains, si l’on veut, à voir le nombre des noyés par accident doubler presque depuis 1856, et celui des morts subites sur la voie publique tripler au moins depuis 1836, parce que cela prouve qu’on se baigne et qu’on se promène davantage, je le comprends à la rigueur. Ces accidents-là ont pour caractère distinctif, d’abord d’être réellement inévitables, puis de n’être pas contagieux par imitation. Autres, à ce double égard, sont les crimes et les délits. Voilà pourquoi l’accroissement numérique des gens frappés par une condamnation est encore plus effrayant qu’il n’en a l’air. Car plus leur nombre s’accroît, plus il tend à s’accroitre, comme le montre leur progression inninterrompue ; et plus ils sont nombreux, plus, si on les laisse se rassembler, ils sont portés à se copier les uns les autres, au lieu de subir l’exemple des honnêtes gens, comme le prouve la proportion toujours grandissante des récidivistes parmi les condamnés. La récidive, en effet, naît du penchant à contracter les habitudes, à se copier soi-même, lequel, abandonné à ses causes individuelles, c’est-à-dire organiques, a toujours en moyenne une force égale ; il se traduirait par suite en une série de chiffres uniformes, s’il n’était surexcité par le penchant à copier son semblable pour lui ressembler encore plus, sous l’empire de causes sociales, de contacts ou de rapports intellectuels plus fréquents, éta-