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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/73

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TARDE. — la statistique criminelle

coûte moins, enfin et surtout à ce que l’aptitude à l’exercer et la nécessité de l’exercer sont devenues moins rares ou plus fréquentes. Or toutes ces circonstances se sont réunies de notre temps pour favoriser l’industrie particulière qui consiste à spolier toutes les autres. Pendant que la quantité de choses bonnes à voler ou à escroquer et des plaisirs bons à conquérir par vol, escroquerie, abus de confiance, faux, assassinat, etc., a grossi démesurément depuis un demi-siècle, les prisons ont été aérées, améliorées sans cesse comme nourriture, comme logement, comme confortable, les juges et jurés ont progressé chaque jour en clémence ; les circonstances atténuantes ont été étendues aux crimes les plus atroces, et la peine de mort s’est transformée par degrés en une sorte de mannequin de paille armé d’un vieux fusil rouillé qui ne tue plus rien depuis longtemps. Les profits se sont donc accrus, et les risques ont diminué, au point que dans nos pays civilisés la profession de voleur à la tire, de vagabond, de faussaire, de banqueroutier frauduleux, etc., sinon d’assassin, est une des moins dangereuses et des plus fructueuses qu’un paresseux puisse adopter. En même temps, la révolution sociale, qu’il faut bien se garder de confondre avec la civilisation, a multiplié les déclassés, les agités, pépinière du vice et du crime, les vagabonds notamment, dont le nombre a quadruplé, si j’en juge par celui des vagabondages, qui s’est élevé de 2,500 à 10,000 depuis 1826. Ajoutez que les penchants charitables étant loin de s’être développés dans notre industrialisme fiévreux, autant du moins qu’il l’eût fallu, les condamnés encore honnêtes après une première faute, les libérés oscillant entre l’exemple de la grande société probe mais inhospitalière et celui de la petite patrie criminelle qui est toute prête à les naturaliser, finissent par tomber fatalement sur ce dernier versant comme les filles-mères dans la prostitution. Ce sont là, à mon avis, les deux circonstances les plus fâcheuses, car ce sont les plus efficaces et les plus irrémédiables. Elles facilitent le recrutement de l’industrie du mal, sa condition sine qua non, tandis que les autres se bornent à étendre et à assurer ses bénéfices. Elles tiennent au courant social et moral du siècle et par suite échappent à l’action directe du gouvernement et de la législation, tandis que les autres peuvent être combattues par une réforme pénale ou par une transformation politique. Mais expliquons-nous plus amplement.

Il ne peut être question, bien entendu, dans aucun projet de loi, de diminuer les profits possibles du métier de criminel, autant vaut dire les produits quelconques de l’art et de l’industrie. Mais on peut accroîtres ses risques par plus de sévérité et de vigilance. Sur le choix des moyens, il y a lieu de discuter. Je doute fort par exemple que la