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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/78

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travail, mais par la spéculation, le jeu, la politicomanie, autant de formes diverses de la même maladie révolutionnaire, du même besoin de changement à tout prix sans autre raison que lui-même ?

C’est parce que cette épidémie est non seulement française, mais européenne, que l’on voit le flot de la criminalité s’élever dans presque toute l’Europe comme en France. Mais, en France, au besoin de changer de lieu, de classe, d’état social, s’ajoute le besoin de changer de gouvernement, qui de toutes les instabilités, de toutes les causes d’insécurité, est la pire, parce qu’elle accroît toutes les autres. À cet égard, considérons attentivement les courbes graphiques.

Bien que la courbe des crimes soit dans l’ensemble une pente, et celle des délits une côte, ces deux lignes se ressemblent très fort par leurs plissements quasi-parallèles. Leurs faîtes, leurs précipices, leurs plateaux se présentent aux mêmes dates. Cette coïncidence montre que ces élévations et ces abaissements pour chacune d’elles n’ont eu rien de fortuit, que ces perturbations ont leur raison dans les variations d’un même état social. Négligeons cependant les dépressions purement factives qui correspondent aux temps de troubles ou de calamités, à 1848 et 1870-71, et qui dénotent, comme on sait, non une diminution de criminalité, mais l’arrêt de la répression, par suite de l’invasion, de la mobilisation des gendarmes et de tous les adultes, de la crise sociale, etc. Écartons aussi les soulèvements dus à la disette, en 1847, en 1854 et 1855. Cette élimination faite, un phénomène qui paraît de prime abord un argument en faveur du despotisme va nous frapper. Tout le long du gouvernement de Juillet, la ligne des crimes s’abaisse peu, celle des délits monte très vite ; en somme, la criminalité grandit régulièrement, et, à travers la courte république de 1848, cette ascension se poursuit jusqu’en 1855, jusqu’au moment où, baptisé de sang par la guerre de Crimée, le second Empire s’établit ; mais, de 1855 à 1866, la ligne des crimes devient plongeante, et celle des délits elle-même ne cesse de s’incliner, ce qui atteste, au cours de ces onze années, un véritable reflux de la criminalité. Il fait bon voir comme les statistiques officielles de cette époque s’enorgueillissaient d’un tel résultat à la veille du jour où il allait être interverti. Déjà, en effet, à l’extérieur et à l’intérieur, l’Empire était ébranlé, et dès 1866 la courbe correctionnelle se redresse pour ne plus fléchir, si ce n’est en apparence.

Ainsi, le libéralisme de Louis-Philippe ne vaudrait pas, à ce point de vue, le césarisme de Napoléon III ? Les chiffres ne disent point cela ; car, en Belgique et j’ajouterai dans les Pays-Bas, un régime libéral a produit à la longue, après s’être établi lui aussi et assis dans les mœurs nationales, un effet tout pareil à celui de l’Empire autori-