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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/79

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TARDE. — la statistique criminelle

taire. Si le gouvernement de Juillet a été moins heureux, n’est-ce pas peut-être parce que nous n’avons jamais connu, même alors, le libéralisme qu’à l’état aigu et nullement à l’état chronique comme chez nos voisins ? Puisqu’un pouvoir libéral, mais toujours mal assis, a laissé croître chez nous la criminalité, et qu’un pouvoir autoritaire, dès qu’il a commencé à chanceler, l’a laissée se relever, dans une très faible mesure, il est vrai ; puisqu’un pouvoir libéral affermi a fait décroitre la criminalité chez nos voisins, de même que chez nous un pouvoir autoritaire jugé stable, n’est-ce pas la preuve manifeste que la nature du pouvoir est secondaire ici quoique non indifférente, et qu’avant tout ce qui importe, c’est sa stabilité ? On m’objecterait à tort l’exemple de l’Angleterre, où, malgré la fixité du gouvernement, la criminalité s’élève. Ce serait oublier la nature aristocratique de cette nation, l’extrême misère qui y coudoie l’extrême opulence, la fécondité exubérante des familles, et autres caractères qui, la distinguant de nous si profondément, peuvent neutraliser en elle le bon effet d’un régime politique stable sur la criminalité.

Maintenant, si nous comparons les courbes dont il vient d’être question avec celles des récidives (c’est-à-dire avec celle qui indique non le nombre absolu, mais la proportion des récidives pour un même nombre de crimes ou de délits, année par année) nous allons voir naître de ce rapprochement un curieux contraste. Tandis que la belle halte descendante, l’oasis de la criminalité, est comprise entre 4855 et 1866, c’est de 1835 à 1848 ou 1850 que la courbe des récidives présente une sorte de long plateau (l’accident de 1847 étant omis) ; mais elle se relève ensuite pour ne plus s’arrêter. Par suite, au point de vue des récidives, la statistique comparée est favorable au gouvernement de Juillet presque autant qu’elle lui est contraire au point de vue de la criminalité en général, et c’est l’inverse pour le second Empire. Comment expliquer ce fait étrange ?

Le maintien d’une égale proportion des récidives de 1848 à 18590, pendant que le nombre des crimes et des délits allait progressant, montre que cette progression était due à une cause générale qui agissait sur l’ensemble des citoyens et ne se compliquait d’aucune cause spéciale propre aux malfaiteurs de profession. Cette cause générale, ne serait-ce point par hasard le travail sourd de transformation sociale de fermentation révolutionnaire, qui après 1830 n’a cessé de nous remuer ? Remarquons, entre autres indices, que, de 1789 à 1831, malgré tant de bouleversements, le rapport numérique de la population urbaine à la population rurale est resté le même (Voy. M. Block, Statistique de la France, t.  I, p. 58) : mais, à partir de 1831, la proportion se modifie au profit des villes, ce qui signifie que la terre se subor-