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LE DÉLIT NATUREL


I

On s’est beaucoup occupé, dans ces derniers temps, de l’étude du criminel au point de vue des naturalistes ; on l’a présenté comme un type, comme une variété du genus homo ; on en a fait la description anthropologique et psychologique. C’est principalement à Despine en France, à Maudsley en Angleterre, à Lombroso en Italie, que revient le mérite de nous avoir donné les descriptions les plus complètes et les plus approfondies de cette anomalie humaine. Pourtant, lorsqu’il s’est agi de déterminer les applications de cette théorie à la législation, on s’est trouvé en présence de très graves difficultés. On n’a pas retrouvé, dans tout délinquant de par la loi, l’homme criminel des naturalistes, ce qui a fait douter de l’importance pratique de ces recherches. Il n’en pouvait être autrement, du moment que les naturalistes, tout en nous parlant du criminel, ont négligé de nous dire ce qu’ils entendent par le mot « crime ». Ils ont laissé ce soin aux juristes ; mais on peut se demander si la criminalité au point de vue juridique n’a pas des limites plus larges ou plus étroites que la criminalité au point de vue sociologique. C’est le manque de cette définition qui a isolé jusqu’à présent l’étude naturaliste du criminel et a fait croire qu’il n’y avait là que des recherches théoriques auxquelles il ne fallait pas mêler la législation.

Je pense que le point de départ doit être la notion sociologique du crime. Qu’on ne nous dise pas qu’elle a été déjà établie par les juristes. Il ne s’agit pas ici d’un mot technique, mais d’un mot qui exprime une idée accessible à toute personne, qu’elle connaisse ou ne connaisse pas la loi. Le législateur n’a pas créé ce mot ; il l’a emprunté au langage populaire ; il ne l’a pas même défini, il n’a fait que rassembler un certain nombre d’actions, qui, selon lui, étaient des crimes. Cela explique comment à la même époque, et souvent au sein d’une même nation, on trouve des codes très différents, les uns comprenant parmi les crimes des actions qui ne sont pas punis-