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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIII.djvu/12

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sables selon les autres. Il s’ensuit de là que la classification du juriste ne saurait empêcher les recherches du sociologue. Du moment que les limites de la criminalité sont vagues et douteuses, le sociologue ne doit pas s’adresser à l’homme de loi pour lui demander la définition du crime, comme il demanderait au chimiste la notion du sel ou de l’acide, ou, au physicien, celle de l’électricité, du son, ou de la lumière. Cette notion il doit la rechercher lui-même. C’est lorsque le naturaliste aura pris la peine de nous dire ce qu’il entend par crime que l’on pourra savoir de quels criminels il nous parle. C’est en un mot le délit naturel qu’il nous faut établir. Mais d’abord y a-t-il un délit naturel, ou ce qui revient au mème, peut-on assembler un certain nombre d’actions qui en tous temps et en tous lieux ont été considérées comme criminelles ? Peut-on obtenir le critérium du crime par la méthode inductive, la seule dont le positiviste doit se servir ? C’est à ces deux questions que nous allons tâcher de répondre. Nous ne nous demanderons pas si tout ce qui est crime pour notre temps et notre société a eu toujours et partout le même cachet, et vice versa. La question serait presque enfantine. Qui ne se souvient pas d’avoir lu que dans les coutumes de plusieurs peuples, le meurtre pour venger un meurtre n’était pas seulement toléré, mais que, pour les fils de la victime, il était le plus sacré des devoirs ? — que le duel a été tantôt frappé des peines les plus graves, tantôt légalisé jusqu’à devenir la principale des formes de la procédure ? — que l’hérésie, la sorcellerie, le sacrilège, considérés jadis comme les crimes les plus détestables, ont disparu maintenant de tous les codes des peuples civilisés ? — que le pillage d’un navire étranger naufragé était autorisé par la loi dans certains pays ? — que le brigandage et la piraterie ont été pendant des siècles les moyens d’existence de peuples maintenant civilisés ? — qu’enfin si l’on sort de la race européenne, avant d’arriver aux sauvages, on trouvera des sociétés à moitié civilisées, qui autorisent l’infanticide et la vente des enfants, qui honorent la prostitution et qui ont même fait de l’adultère une institution ? Ces choses sont trop connues pour qu’il soit nécessaire de s’y arrêter. C’est pourquoi nous poserons la question différemment. Nous chercherons seulement si parmi les crimes et les délits de nos lois contemporaines il s’en trouve qui en tous temps et en tous lieux ont été considérés comme des actions punissables. On est porté à donner une réponse affirmative dès qu’on pense à certains crimes effroyables : le parricide, par exemple, ou encore l’assassinat avec guet-apens, le vol accompagné de meurtre, le meurtre par simple brutalité… Mais on trouvera bientôt des faits qui semblent renverser même cette idée ! Les rapports des voyageurs anciens et