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société de psychologie physiologique

un rôle effacé dans la rédaction. Qui ne s’est pas étonné soi-même de telle phrase heureusement trouvée qu’on a écrite spontanément, je devrais dire inconsciemment, sous la dictée de la parole intérieure ?

Il me paraît néanmoins plus difficile de signaler ici des faits indiquant d’une façon précise, dans le cas où l’on écrit, l’existence de la parole intérieure comme détachée de l’intelligence. Celle-ci, en effet, agit assez rapidement pour précéder l’écriture, sauf peut-être dans certaines circonstances singulières qui ne permettent pas, il me semble du moins, une interprétation décisive.

Avant de passer au cas de la pensée discursive, qu’il me soit permis de faire une digression sur les conclusions que l’on peut déjà tirer des remarques précédentes.

Quel que soit le mécanisme qui produise la parole intérieure, il est certainement inconscient, et il n’est pas mis en jeu, mais seulement régularisé, par l’intelligence réfléchie. Il a cependant l’importance prédominante, soit dans l’élocution des orateurs, soit dans le style des écrivains. Or, comment arrive-t-on à le développer et à le perfectionner ? Évidemment c’est par les exercices et les habitudes qui constituent l’éducation, dont on aperçoit par là le rôle véritable, trop souvent méconnu. Ce qui distingue la bonne éducation, ce n’est nullement un amas de connaissances plus ou moins bien digérées, ce sont les bonnes habitudes données à la parole intérieure, et, dès lors, la faculté d’exposer clairement sa pensée en termes corrects et choisis, soit que l’on parle, soit que l’on écrive. C’est à obtenir ce résultat qu’on doit, avant tout, viser dans l’éducation ; il faut apprendre à manier convenablement l’instrument de travail, le merveilleux outil qui est en chacun de nous ; les études spéciales ne doivent venir qu’après ; autrement elles seraient inutiles.

Je reviens maintenant à l’exercice de la pensée discursive. Pour abréger, je n’en dirai que quelques mots. Il est inutile de rappeler que, si elle est toujours accompagnée de la parole intérieure, celle-ci, tantôt réduite au minimum des images motrices, tantôt articulée à voix basse, acquiert parfois une intensité suffisante pour être perçue par autrui. Je voudrais seulement insister sur les circonstances où cette parole intérieure n’est pas suivie de l’acte intellectuel.

Je prendrai un exemple que j’ai souvent observé sur moi-même. J’ai l’habitude, quand il m’est difficile de m’endormir, de réciter mentalement des vers que je sais par cœur ; moyen qui, entre parenthèses, me réussit parfaitement.

Or, pendant cette récitation mentale, le sommeil intervenant peu à peu, l’intelligence ne suit plus, mais la récitation continue toujours, jusqu’à ce qu’un mot ou vers oublié la suspende et que, de cette suspension, résulte un réveil partiel. Je m’aperçois alors qu’un ou deux vers, parfois toute une strophe, ont été récités sans que j’en aie eu conscience, et je les reprends une seconde fois pour franchir l’écueil qui m’a arrêté.