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sans amener précisément l’intelligence des mots qu’elle prononce. C’est là la remarque principale que je me propose de développer.

Pour vérifier cette assertion, il faut analyser ce qui se passe dans les différents cas où l’intelligence est active ; ceux où elle reste passive ne pourraient évidemment rien nous apprendre.

Prenons d’abord la parole à haute voix ; il est certainement difficile de la distinguer de la parole intérieure. Cette distinction ne peut se faire que lorsque nous parlons très lentement, en pesant chaque mot, comme on dit ; alors, avant de prononcer ce mot, nous pouvons en percevoir l’image, au moins la motrice ; l’intelligence l’accepte et adhère alors à l’émission de la voix suivant l’articulation proposée par la parole intérieure.

Si, au contraire, nous parlons rapidement, d’abondance, il n’y a en fait aucune distinction entre la parole, intérieure et l’extérieure ; la bride est lâchée à l’agent inconscient, et son discours, muet d’ordinaire, acquiert assez d’intensité pour être entendu par autrui. L’intelligence consciente n’a même plus besoin de le stimuler ; elle n’agit que comme régulateur ; nous nous écoutons parler, et nous sommes contents cu mécontents de ce que nous disons ; dans le second cas seulement, l’intelligence intervient pour provoquer des corrections ou imprimer d’autres tours. Mais autrement, la volonté ne joue guère de rôle que pour régler l’intensité de la voix.

Que la parole précède réellement l’intelligence consciente, on peut le reconnaître dans deux cas. Il nous arrive à tous de répondre machinalement une formule habituelle à telle question banale, comme « Très bien » à « Comment vous portez-vous ? » alors que si nous avions tant soit peu réfléchi, nous aurions répondu tout le contraire. Nous sommes alors aussi surpris de notre réponse que si elle était faite par un étranger. Nous n’en avons conscience qu’un laps de temps très appréciable après le moment où nous l’avons articulée.

Le second cas est celui où, au milieu d’un discours prononcé d’abondance, notre attention se trouve brusquement distraite par quelque circonstance extérieure ; il arrive, en effet, souvent alors que nous continuons à prononcer quelques mots faisant aux précédents une suite plus ou moins heureuse, mais dont nous n’avons pas conscience, à ce point que si, la distraction passée, nous voulons reprendre le fil interrompu, nous sommes parfois obligés de redemander ce que nous venons de dire. Voilà une circonstance où la parole apparaît nettement comme précédant l’intelligence et comme en étant même absolument détachée.

Si nous analysons maintenant ce qui se passe quand nous écrivons, nous pouvons faire des remarques analogues ; ici il est d’ailleurs plus facile de s’observer ; la plume ne peut, en effet, aller aussi vite que la parole intérieure, dès que l’on est un peu échauffé par la composition, et la réflexion de l’intelligence peut percevoir très nettement cette parole précédant les mouvements de la main. Pour peu que l’on s’observe sérieusement, on reconnaîtra à quel point le moi intelligent joue alors