Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIII.djvu/125

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
115
DELBŒUF.de la prétendue veille somnambulique

que le mien. Après plus d’une tentative infructueuse, je m’avise de lui montrer M….. avec un bras mis en catalepsie ou en contracture, que je lui donne à tâter ; elle comprit aussitôt ; et, à partir de cet instant, je lui immobilisais à volonté n’importe quel membre.

J’utiliserai un jour, pour l’explication des phénomènes inhibitifs dus à l’hypnotisme, ce fait, qui n’est exceptionnel qu’en apparence.

Après tout, dans les champs de la science, rien de plus gênant que les exceptions. L’exception est une espèce de contradiction ; c’est, si l’on veut, une contradiction circonscrite et particulière. Or la nature ne se contredit pas ; dans la nature, il n’y a pas d’exceptions. Cette mauvaise herbe ne pousse que dans nos théories et nos systèmes, et l’on ne peut jamais en poursuivre l’extirpation avec trop de persévérance et d’énergie.

Ainsi veux-je agir à l’endroit de la prétendue veille somnambulique, de cet état intermédiaire, dit-on, entre la veille et le sommeil. J’espère montrer que cette veille est bel et bien le sommeil, et qu’elle n’en diffère que par des caractères sans importance. À ce titre, cette troisième étude est une suite naturelle des deux premières.

II

C’était au mois de décembre 1885. M. Charcot avait bien voulu m’inviter à une séance expérimentale à la Salpêtrière. Après qu’il nous eut fait voir sur un sujet les trois phases classiques et si discutées de l’hypnotisme, on introduisit dans la salle une femme d’une trentaine d’années, mince, hâve, pâle, figure honnête dénotant une intelligence quelque peu bornée, mise assez pauvre. Elle salua la compagnie avec une certaine aisance, et M. Charcot{{}} avec une nuance de familiarité. « Vous vous sentez bien, ma fille ? lui dit-il. — Très bien, monsieur. — Vous avez déjeuné ? — Certainement. — Qu’avez-vous eu ? — Du pain, du café, du lait. — Parfait ! Regardez à vos pieds ; voyez-vous ce bassin d’eau limpide ? — Oh ! le beau bassin, la belle eau ! — Voyez les poissons rouges. — Les beaux poissons ! — Décrivez-les. — Il y en a de grands, de petits, de toutes les tailles ; il sont très nombreux et nagent dans tous les sens. — Et autour du bassin, quel frais gazon tout semé de fleurs ! — Vraiment, quelles jolies fleurs ! — Quelles sont-elles ? — Des marguerites, principalement. Me permettez-vous d’en faire un petit bouquet, monsieur Charcot ? — À votre aise. — Bien merci ! » Et la brave fille, se penchant, se mit à cueillir délicatement ses marguerites, les prenant de ci de là, pour ne pas dénuder toute une place, les enroula d’un brin d’herbe, et