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prenant une épingle, attacha précieusement le bouquet à son corsage. « Il est bien joli, votre bouquet ; vous êtes heureuse ? — Si heureuse ! — C’est bien dommage que votre jambe droite est paralysée. — Hélas ! » Et la pauvre hallucinée chancelle ; on doit la retenir. « Je vais vous faire passer cela. Tenez ! Vous voilà guérie. — Merci, monsieur Charcot. — Pas la peine ; mais voilà que vous avez bien mal dans le dos. — Dieu ! que je souffre ! » Et elle se tord de douleur.

Moi à M. Charcot : « Est-elle éveillée ? — Je ne sais pas. Serait-elle endormie ? — Je ne sais pas. — Elle est pourtant éveillée ou endormie. — Je ne sais pas. — L’avez-vous endormie sans que je l’aie vu ? — Non. — Est-elle souvent ainsi ? — Toujours ! — C’est bien étrange. — Oui. ― Avez-vous une explication ! — Non. »

Ce dialogue nous avait fait oublier la malheureuse, qui continuait à gémir et à se tortiller sur sa chaise. M. Charcot avec une parole la tira d’affaire, et moi je restai abîmé dans d’inextricables réflexions. Je venais d’assister à une scène de soi-disant veille somnambulique.

M. Beaunis a le premier, je crois, attiré l’attention sur cet état, qu’il estime, comme je l’ai dit, intermédiaire entre la veille et le sommeil hypnotique. Il lui donne, faute de mieux, le nom de veille somnambulique, qui en rappelle assez heureusement le double caractère[1].

Je ne puis mieux faire que de résumer ses observations et les conclusions qu’il en tire.

1o Le souvenir des hallucinations et des actes suggérés pendant le sommeil hypnotique, mais se produisant après le réveil, est aboli dès leur accomplissement. Exemples : Réveillée, Mlle A….. E….. voit un nez d’argent à M. X….. Sitôt que la suggestion lui est enlevée par la parole, elle ne se rappelle plus avoir vu M. X….. avec un nez d’argent. Mme H….. A….. doit, trois minutes après son réveil, aller embrasser une petite paysanne qu’elle voit pour la première fois ; l’acte accompli, plus de souvenir.

2o Le même oubli a lieu pour les hallucinations et les actes suggérés à l’état de veille. « Cet oubli se produit même quand on appelle d’une façon particulière l’attention du sujet sur le phénomène qui lui a été suggéré à l’état de veille. » Exemple : Mlle A….. E….. doit tourner ses mains l’une sur l’autre. Elle ne peut les arrêter. On lui fait remarquer son impuissance et on l’invite à s’en souvenir. M. Beaunis lui arrête les mains ; oubli.

3o Le même oubli s’observe à l’égard d’actes plus longs et plus

  1. Voir Revue philos., juillet et août 1885. Ces deux articles sont reproduits par lui dans ses Recherches expérimentales sur les conditions de l’activité cérébrale, etc., p. 48 et suiv.