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DELBŒUF.de la prétendue veille somnambulique

Le sujet dort donc ; ceci est hors de doute. Mais à quel moment s’endort-il ? Cette question comporte deux réponses, également rationnelles a priori. Ou bien, comme il a été dit plus haut, il entre dans le sommeil soit à l’apparition du signal annoncé, soit à l’instant prédit ; ou bien il reste dans le sommeil hypnotique pendant lequel la suggestion lui a été faite. Pour ce qui est de J….. la première réponse semble la seule plausible, vu que sa physionomie me parle clairement.

Pour M….. le doute est permis, parce que, comme je l’ai signalé, plus impassible, plus timide, avec ses yeux baissés et son regard qui se dérobe, elle trahit moins ce qui se passe en elle. Cependant, chez elle aussi, j’ai pu, à la longue, saisir le changement. Hypnotisée, elle prend un air tant soit peu maussade. Pour tirer la chose bien au clair, je lui ai donné dans la suite plusieurs suggestions qui devaient se réaliser au moment où elle servait à table, et toujours l’un ou l’autre convive remarquait un certain changement, léger, mais caractéristique, dans son allure.

Il semble donc qu’on doive pencher pour la première alternative. D’ailleurs, avant toute réflexion autre, elle paraît la plus simple.

Ce n’est pas qu’il n’y ait plus d’un argument à faire valoir en faveur de la seconde. D’abord le sujet, à qui on a inspiré une suggestion, est, après tout, sous l’empire de cette suggestion tant qu’elle reste à accomplir ; il est dans l’attente d’une heure ou d’un signal. Cette attente est hors de sa conscience, je l’accorde, mais elle n’en existe pas moins. En outre, il arrive assez fréquemment qu’entre le moment où on lui a intimé une suggestion, et son accomplissement, le sujet se sent mal à l’aise, comme s’il avait un poids sur le corps. J….. et M….. le constatent toutes deux, et bien souvent l’une ou l’autre, devinant juste, est venue me demander « si je ne lui avais pas joué un tour ». Par contre, quand je voulais leur donner le change, leur faire accroire que je leur avais dicté un ordre à leur insu, elles ne se laissaient pas facilement prendre à mon mensonge. Je dois dire cependant qu’il n’y a rien là de constant. Plusieurs fois, après qu’une suggestion leur avait été faite, je m’informais si elles ne sentaient rien, et elles me répondaient négativement. De sorte que, en dernière analyse, ces sortes de pressentiments pourraient bien être sans portée aucune.

Je me hâte d’ajouter que cette gêne dont elles se plaignent, fût-elle même constante, et le sommeil sont choses bien différentes. Mais il n’en faut pas moins admettre comme possible que la suggestion se fasse sentir d’une manière sourde et indirecte, tant qu’elle n’a pas reçu son exécution.

Les expériences qui vont suivre serviront à élucider ces divers