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DELBŒUF.de la prétendue veille somnambulique

Enfin, comme je l’ai déjà dit, la conscience du sujet n’atteint pas le moment où la suggestion se met à opérer. Tout bien pesé, il n’y a rien là qui doive particulièrement étonner. Que l’instant du réveil puisse se préciser, rien de plus naturel, puisque, avec lui, recommence la vie normale. D’autant plus qu’on nomme réveil justement ce moment où l’on est en état de penser à l’heure en se disant qu’on est réveillé. Mais comment saisir l’instant où l’on sort de la vie normale. Le faire serait y être encore. Bien que l’argument me paraisse péremptoire, j’ai cru qu’il ne serait peut-être pas inutile d’en essayer une confirmation expérimentale. J’ai choisi pour cela l’expérience suivante :

Le 4 avril, je donne à M….. la suggestion que voici : sur le coup de six heures, elle doit apporter à un ami qui est avec moi un verre d’eau mélangée de vin. Je passe les complications. Elle n’y manque pas. Réveillée par mon souffle et interrogée sur le moment où elle s’est endormie, elle répond sur-le-champ : « Quand j’ai entendu sonner six heures. — Et vous vous êtes endormie ? — Je le suppose, mais, quant à moi, il ne me semble pas que je me suis endormie ; seulement, je sens bien que je viens de me réveiller. » (Paroles textuelles.)

Ainsi donc, cette fois encore, passage brusque de la veille normale à une autre sorte de veille qui est cependant suivie d’un réveil ; le sujet est impuissant à noter le moment de passage. Quant au réveil, il est ou bien spontané, ce qui a lieu ordinairement quand la suggestion est accomplie, ou bien provoqué, ce qui se fait par les moyens usités.

VI

Au point où nous en sommes arrivés, il est clair que, pendant ce sommeil ou, si l’on veut, cette veille somnambulique, le sujet se considère comme éveillé, et il n’en peut être autrement. Tout rêveur se croit éveillé. D’un autre côté, puisqu’il se réveille, il est évident qu’il a dormi, c’est-à-dire qu’il a été partiellement soustrait aux relations extérieures, comme nous le sommes plus ou moins pendant le sommeil physiologique. Le principal et peut-être l’unique caractère distinctif du sommeil hypnotique, c’est la facilité beaucoup plus grande du dormeur à recevoir des suggestions, notamment de son hypnotiseur.

Mais il y avait un intérêt puissant à constater expérimentalement et méthodiquement la ressemblance sous le rapport interne ou purement psychique, entre ces sortes de rêves somnambuliques et les rêves ordinaires. Ce fut l’objet de deux ordres d’expériences qui ont