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F. BOUILLIERce que deviennent les idées

Comme M. de Rémusat, M. Damiron dans sa Psychologie se prononce en faveur des idées latentes. « Les idées, dit-il, continuent à être et à garder leur caractère distinctif ; elles manquent de lumière, non de réalité ; elles sont voilées et non éteintes : en d’autres termes, le moi ignore qu’il est affecté de cette impression qu’il ne sent plus, mais il la porte toujours en lui, quoique cachée dans les profondeurs. » Ajoutons avec M. Damiron que cette hypothèse non seulement n’a rien d’absurde, mais qu’elle explique tout sans nulle peine, et que sans elle on n’explique rien.

Dans un grand ouvrage philosophique modestement intitulé, Leçons de philosophie, M. Rabier, après avoir tout d’abord écarté comme absurde et contradictoire l’hypothèse des idées sans conscience que nous abandonnons volontiers à toutes les légitimes sévérités de sa critique, ne traite pas beaucoup mieux celle des idées à l’état latent, au sujet de laquelle il nous prend à partie, bien que, comme on vient de le voir, elle ait été soutenue par d’autres plus autorisés que nous. Les idées latentes ne lui semblent rien moins — ce sont ses expressions — que monstrueuses et invérifiables. Qu’ont-elles donc de monstrueux, et qu’il nous serait facile de renvoyer cette dure épithète à bien d’autres hypothèses sur la mémoire, par exemple à tous ces résidus d’idées déposés dans le cerveau, à ces traces matérielles qui persistent, sans s’altérer, pendant toute la durée d’une existence, ou à ces prétendues habitudes physiologiques qui sont, comme nous le verrons, le dernier mot de M. Rabier sur la mémoire.

Il importe encore plus de savoir si cette hypothèse est réellement invérifiable, comme elle en est un peu légèrement accusée ; car si elle est vérifiable, on nous accordera sans doute qu’elle n’a rien de monstrueux. Or il nous semble qu’elle se vérifie, comme nous l’avons dit, en plus d’une façon, sans même qu’il soit toujours besoin de pénétrer bien profondément dans l’observation de l’esprit humain. Avec la réflexion on découvre par dessous les perceptions notables, pour parler comme Leibniz, une foule de perceptions confuses et même cachées au fond de la conscience, un monde d’infiniment petits invisibles, pour ainsi dire, à l’œil nu. Que de diverses et de curieuses alternatives d’ombre et de lumière, selon que la réflexion intervient ou n’intervient pas, sur ces horizons changeants de notre conscience ! Là où était la nuit, ou seulement un demi-jour, voilà que tout à coup la clarté se fait, et que la scène s’illumine, et là où était la lumière, maintenant c’est la nuit. Il est facile de multiplier les observations de ce genre.

J’éprouve telle ou telle douleur, non pas aiguë, mais sensible et