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incommode. Il suffit, nous ne disons pas pour la faire cesser, mais pour la rendre plus ou moins longtemps comme insensible, ou pour que nous n’y prenions pas garde, de quelque distraction plus ou moins vive, de telle ou telle rencontre, d’une surprise quelconque, d’une conversation plus animée, d’une lecture qui nous attache davantage. La distraction passée, de nouveau la douleur est sentie. Croit-on que dans l’intervalle elle ait réellement cessé d’exister ? Elle continuait sans nul doute, bien que non sentie ou plutôt imperceptiblement sentie.

Il en est des idées comme des sensations. Au milieu de ce courant d’idées qui ne cesse de circuler dans notre esprit, comme le sang dans nos veines, souvent deux idées se succèdent ou plutôt semblent se succéder immédiatement, sans qu’il y ait aucun lien apparent, même le plus éloigné et le plus fortuit, entre l’une et l’autre. L’esprit s’étonne de les voir ainsi à la suite l’une de l’autre, malgré l’hiatus énorme qui semble les séparer. Mais avec la réflexion l’étonnement diminue ; nous retrouvons les idées intermédiaires qui d’abord nous avaient échappé, et qui sont comme autant d’anneaux qui relient les deux tronçons de la chaîne qui nous avait paru brisée.

Je me laisse aller à la rêverie, et mon esprit sommeille pour ainsi dire ; une suite de pensées confuses se succèdent sans le tirer de sa somnolence, et sans qu’il y prenne garde. Tout à coup, dans le nombre, en voici une qui excite mon attention et secoue cette sorte de léthargie intellectuelle et morale. Aussitôt je vois ce que tout à l’heure je ne voyais pas ; je ressaisis ce qui m’avait échappé et ce qui était au risque d’être comme non avenu et perdu sans retour. Sous ce regard attentif de l’esprit, toutes ces idées qui passaient inaperçues reprennent plus ou moins couleur et figure. Je croyais ne penser à rien et une foule de choses se découvent auxquelles j’ai pensé et auxquelles je pensais. Cette scène qui m’avait paru vide s’éclaire peu à peu comme dans un diorama. J’aperçois des décors variés et au milieu une foule de personnages.

D’ailleurs, tout en demeurant cachées plus ou moins à l’esprit, ces idées latentes se manifestent quelquefois par des effets sensibles, par des impressions qui démontrent bien leur réalité. D’où vient qu’à certains jours, sans savoir pourquoi, nous soyons bien ou mal disposés, sous l’influence d’une humeur gaie ou triste ? Ces dispositions et humeurs diverses dont nous avons peine à nous rendre compte, ont leur cause, que souvent il nous arrive de découvrir, plus tard, dans des réminiscences vagues, dans des idées confuses de la veille ou du rêve dont les impressions survivent à notre insu et qui nous