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GAROFALO.le délit naturel

peut-être pas trouvé un terrain favorable pour le développement et la stabilité de ses idées[1] ».

« L’ensemble des idées morales d’un peuple », ajoute le même auteur, « n’est jamais sorti d’aucun système philosophique, de même que les statuts d’une société commerciale ». Ce capital d’idées morales est le produit d’une élaboration de tous les siècles qui nous précèdent et qui nous les transmettent par l’hérédité aidée de la tradition. C’est pourquoi, dans chaque époque, il y a eu une morale relative qui a consisté dans l’adaptation de l’individu à la société. Il y en a eu une encore plus relative, dans chaque région, dans chaque classe sociale ; c’est ce qu’on appelle les mœurs. Du moment qu’un individu s’est conformé aux principes de la conduite généralement admise dans le peuple, dans la tribu, ou dans la caste à laquelle il appartient, on ne pourra jamais dire qu’il a agi immoralement, quoique la morale absolue puisse faire ses réserves. C’est ainsi, par exemple, que l’esclavage, mis en rapport avec l’idéal, est une institution immorale, parce qu’une société parfaite ne peut pas permettre qu’un homme soit, contre sa volonté, l’instrument passif d’un autre. Mais faut-il conclure de là à l’immoralité des propriétaires du monde ancien par le seul fait de posséder des esclaves ? La manière dont la morale de ce temps tendait à l’idéal, se révèle dans les affranchissements par lesquels les propriétaires les plus humains donnaient la liberté à ceux parmi leurs esclaves qui s’étaient distingués par leur zèle et leur fidélité, ou à ceux qui par leur intelligence, leur instruction, ou leurs aptitudes spéciales, pouvaient se frayer un chemin dans le monde, et se soulever ainsi de leur humble position.

Il est inutile de montrer par des exemples les différences énormes qu’il y a sur plusieurs points entre la morale de peuples différents ou du même peuple à différentes époques. Il n’est pas même nécessaire de citer les tribus sauvages anciennes ou modernes. Il suffit de se souvenir de certains usages du monde classique qui est pourtant si rapproché du nôtre par le genre et le degré de sa civilisation. On se souvient de l’évidence avec laquelle on célébrait certains mystères de la nature : du culte de Vénus et de Priape, des amulettes phalliques ; de la prostitution religieuse à Chypre et en Lydie ; de la cession de sa propre femme à un ami, dont on a vu des exemples à Rome ; de l’adultère admis par les usages de Sparte lorsque le mari n’avait pas d’aptitude à la procréation ; de l’amour pour le même sexe dont les écrivains grecs parlent comme d’une chose non

  1. Schaeffle, Structure et vie du corps social, ch.  v, II.