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F. BOUILLIERce que deviennent les idées

pour les lire ; sinon ils restent lettre morte, et nulle idée ne s’attacherait à ces résidus matériels et inconscients, quelque bien imprimés qu’ils puissent être sur une substance quelconque du cerveau. Si la mémoire est dans la dépendance de certains phénomènes physiologiques, il n’y a pas à conclure, comme quelques-uns, que la mémoire n’est qu’un phénomène physiologique.

D’ailleurs serait-il vrai qu’il y eût dans le cerveau des résidus de chaque idée qui persistent, ne pourrions-nous pas de notre côté en tirer avantage en faveur de la persistance des idées elles-mêmes à l’état latent, de cela seul que la connexion est admise entre les faits psychiques et les faits organiques ? Les deux persistances, celle des idées dans l’esprit et celle des résidus dans le cerveau, doivent être réciproques. Mais il y a lieu de tenir la première pour plus certaine que la seconde. D’après les preuves que nous en avons données, la conservation des idées dans l’esprit n’a pas besoin de s’appuyer sur des hypothèses physiologiques plus ou moins hasardées.

En résumé, à moins d’un miracle qui les ressuscite, c’est-à-dire à moins de rendre absolument inexplicable le fait de la reconnaissance des idées, à moins de supprimer le fondement même du souvenir, il faut admettre que, si les idées passent, elles ne périssent pas. Le résidu d’une idée ne peut être dans l’esprit autre chose qu’une idée, que cette idée même, quoique plus ou moins effacée et mise en quelque sorte provisoirement à l’écart. La mémoire ne reproduit pas les idées à nouveau ; elle les réveille dans l’esprit, qui les conserve ou les retient. En attendant le moment de ce réveil, elles demeurent dans l’esprit inaperçues, mais non pas cependant dénuées de conscience d’une manière absolue, sinon elles ne seraient plus des idées. Elles sont effacées autant qu’on le voudra supposer ; elles sont latentes, mais elles sont plus que zéro.

Nous croyons avoir montré l’impossibilité de ramener la mémoire à l’habitude, qui n’en est qu’un auxiliaire. L’habitude et les idées sont deux faits d’ordre différent irréductibles l’un à l’autre. L’habitude cimente les associations d’idées ; elle facilite leur retour ; mais ne peut elle-même se convertir en une idée. La mémoire ne retrouve une idée dans l’esprit qu’à la condition que cette idée n’en soit pas sortie.

Francisque Bouillier
(de l’Institut).