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l’enchaîner peut-être pour le mettre hors d’état de nuire, et l’on n’aurait pas le droit de le guérir aujourd’hui, en appliquant à ses désordres cérébraux un traitement inoffensif d’ailleurs, et reconnu efficace ? La seule excuse de certaines perversités d’enfants, c’est d’être notoirement morbides, et le mieux qu’on puisse faire pour elles est de les traiter comme telles. Du jour où on les attribuerait à un choix libre, ce n’est plus la pitié qu’elles inspireraient, mais une juste horreur, et le moraliste, j’en ai peur, risquerait bien de perdre sa peine en réclamant encore pour elles, avec raison d’ailleurs, quelque respect. La personnalité et la liberté ne sont pas des entités sans rapport avec les lois générales de la vie : ce sont, dans l’ordre des phénomènes, les manifestations les plus hautes de la vie cérébrale ; elles ont leur support, en quelque sorte leur condition sine qua non dans le bon fonctionnement de tout le mécanisme mental. Remettre en bon état, de quelque manière que ce soit, l’organisme en général, rendre en particulier à l’appareil cérébral la santé, c’est travailler pour la personnalité, bien loin de lui porter atteinte, c’est rendre à la liberté morale ses conditions d’existence en ce monde. Que ce ne soit pas là faire de l’éducation proprement dite, je l’accorde ; mais c’est préparer les voies à l’éducation en la rendant possible là où elle ne l’était pas, en lui restituant des sujets qu’une infirmité mentale soustrayait à son action[1].

Ce point ne pouvant prêter à une longue discussion, du moins à une discussion utile, il eût été, dis-je, à souhaiter que le débat se portât de préférence ou fût du moins ramené sur quelques points de la communication de M. le Dr Bérillon, qui ne me paraissent pas exempts de confusion ou d’obscurité. Quand il nous dit par exemple que « à l’état de veille, le sujet peut se trouver de lui-même dans un état où il est disposé à accepter les affirmations, sans aucune réaction et sans aucun contrôle de sa volonté ni de son esprit », il ne fait qu’énoncer une vérité de psychologie courante sans rapport avec la suggestion hypnotique, laquelle était seule en question. Tout le monde sait que les esprits faibles en général, la plupart des enfants notamment, prennent avec une facilité incroyable, dans certaines conditions surtout, l’empreinte qu’on leur donne : c’est ce qui fait la puissance de l’éducation ; mais n’est-ce pas un abus de mot d’appeler cela suggestion, ou du moins est-ce dans une note médicale sur la suggestion hypnotique qu’une pareille confusion pouvait être permise ? De même quand on nous parle d’auto-suggestions, de suggestions que l’individu se fait involontairement à lui-

  1. M. Blum a depuis développé amplement ses réserves et ses scrupules dans la Critique philosophique (30 novembre 1886), mais sans apporter d’arguments nouveaux. Nous sommes aussi pénétré qu’il peut l’être des droits de l’enfant ; mais il ne fera pas que l’éducation n’implique nécessairement une forte dose de déterminisme ; et sans nous en faire accroire sur ce qu’on peut attendre de la médecine, nous sommes persuadé qu’on recourt beaucoup trop peu à ses lumières, qu’elle pourrait rendre dès aujourd’hui plus de services qu’on ne lui en demande, qu’on a mauvaise grâce, par conséquent, à lui opposer à priori des fins de non-recevoir.