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dégageant de ces parties superficielles on en découvrira la partie vraiment substantielle et identique dans tous les hommes de notre temps et de notre race, ou d’autres races pas trop dissemblables de la nôtre au point de vue psychique. C’est ainsi que tout en renonçant à l’idée de l’universalité absolue de la morale, nous pourrons parvenir à déterminer l’identité de certains instincts moraux dans une très vaste région du règne humain.

III

Mais quels sont d’abord ces instincts moraux dont il nous faut nous occuper ? Parlerons-nous de la pudeur, de la religion, du patriotisme ? Pour ce qui est de ce dernier sentiment, on peut dire que, de nos temps, il n’est plus absolument nécessaire à la moralité de l’individu. On n’est pas immoral parce que l’on préfère un pays étranger ou parce qu’on ne verse pas de douces larmes à la vue de la cocarde nationale. Si l’on désobéit au gouvernement établi, si l’on accepte un emploi à l’étranger, on peut mériter d’être appelé un mauvais citoyen, non pas un méchant homme. C’est la possibilité même de faire une pareille distinction (possibilité qui n’existait pas à Sparte ni à Rome) qui prouve la séparation actuelle du sentiment national de la morale individuelle.

Cette observation peut s’appliquer également au sentiment religieux. Dans toute l’Europe contemporaine, ou pour mieux dire dans toute la race européenne, les gens éclairés considèrent la moralité publique comme indépendante de la religion. Le sentiment religieux des anciens était intimement lié au patriotisme, parce qu’on croyait que le salut de la patrie dépendait du culte pour la divinité. De nos jours, le même préjugé existe encore dans plusieurs tribus barbares. Au moyen âge, l’idée que les chrétiens étaient la famille de Dieu les rendait impitoyables pour les infidèles. Le blasphème, l’hérésie, le sacrilège, la sorcellerie et même la science, contredisant les dogmes, étaient les crimes les plus graves. Mais aujourd’hui, les préceptes religieux ne font plus partie des préceptes de la conduite ; ce qui n’empêche pas que notre morale contemporaine ne soit en partie dérivée de l’Évangile, qui a favorisé le développement de l’altruisme Mais on peut être chrétien, quant à la morale, sans croire aux dogmes, c’est-à-dire sans avoir la foi. Nous reviendrons plus tard sur cette question.

La pudeur a l’air d’un vrai instinct humain. Mais nous avons déjà parlé de son immense variabilité. Nous ajouterons que ni la plus com-