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GAROFALO.le délit naturel

plète nudité n’est introuvable dans quelques tribus, ni la publicité de la conjonction des sexes n’est sans exemples. Qu’on se souvienne du récit que nous fait Cook d’un singulier usage aux îles Sandwich : la consommation publique du mariage, ce dont un auteur, qui est fou des sauvages, déclare qu’il ne faut pas s’en étonner, du moment que, même selon le code Napoléon, le mariage est un acte public ! On peut citer encore, parmi plusieurs autres exemples, une page de Xénophon nous décrivant l’étonnement des Grecs à la vue du sans-gêne des Mosynacciens en pareille matière[1]. Quant à la pudeur féminine qui se refuse à l’amour libre, il y a là, plutôt qu’un instinct, le respect aux devoirs d’épouse ou de famille, le sentiment de l’honneur de jeune fille, etc. Et même, faut-il ajouter, il est rare qu’une jeune personne résiste toujours aux prières de l’homme dont elle est éprise. Bien souvent, même, dans les familles les plus sévères, on a vu des demoiselles élevées dans les meilleurs principes, céder tout à coup à la fougue d’une passion ou à une séduction habile et hardie.

L’instinct de la chasteté existe bien chez quelques individus, mais il faut convenir que ce sont des exceptions ; l’instinct le plus général pousse au contraire à la satisfaction des sens, et l’amour libre n’est contrarié le plus souvent que par la retenue imposée par la situation spéciale dans laquelle on se trouve, à moins qu’il ne le soit par un sentiment religieux excessivement pur. Bref, cette retenue, lorsqu’elle ne dérive pas du tempérament, n’est conseillée, en tout cas, que par l’intérêt individuel, ou tout au plus par celui de la famille dont on est membre.

Dans les sentiments dont nous venons de parler il n’y a rien de vraiment altruiste. Or le sens moral d’une agrégation humaine ne peut consister que dans l’ensemble des instincts moraux altruistes, c’est-à-dire de ceux qui ont pour objet direct l’intérêt des autres, quoique, indirectement, cela puisse tourner à notre avantage.

Les sentiments altruistes que l’on trouve à un très différent degré de développement chez les différents peuples et dans les différentes classes d’un même peuple, mais que néanmoins l’on rencontre partout, dans chaque agrégation humaine organisée (à l’exception peut-être d’un très petit nombre de tribus sauvages), peuvent se réduire à deux instincts typiques : celui de la bienveillance et celui de la justice.

Si l’on veut les considérer au point de vue de l’École évolutionniste, on peut remonter à leur forme rudimentaire qui a été celle d’un appendice des sentiments égoïstes. L’instinct de la conservation individuelle s’étend d’abord à la famille, ensuite à la tribu ; il s’en détache

  1. Xénophon, Anabasis, liv.  V, ch.  xix.