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Ludwig Noiré.Logos. Ursprung und Wesen der Begriffe. Leipzig, W. Engelmann, 1885, XVI-362 p. in-8o.

M. Noiré achève, dans ce nouveau livre, sa théorie du langage. Il nous la donne sous le titre de Logos, et ce titre signifie que le langage est en même temps le fruit et l’aliment de la vie de la pensée. Sa théorie, nos lecteurs le savent déjà, a pour fondement une grande vérité ; elle assigne pour origine au langage la volonté, l’activité, en un mot l’état social. On ne saurait se figurer, en dehors de l’état social, le développement ni de la parole ni de la moralité, et il eut pu suffire à {{M.|Noiré} de le prouver avec surabondance. Mais il a voulu rattacher encore la vie du langage à la vie de l’entendement telle que Kant l’a comprise et justifier ainsi par voie indirecte la doctrine kantienne où il a pris le cadre de ses recherches. De là, peut-être, l’hésitation où le lecteur se trouve quelquefois entre des faits qui semblent probants et un raisonnement qui parait trop subtil ou difficile.

Mais je me borne à analyser l’ouvrage et m’abstiens de le juger.

Origine et essence des concepts, tel est le sous-titre du livre. M. Noiré nous montre d’abord que les mots sont des concepts. Nommer et connaître, c’est un même acte. Le mot signifie l’idée de Platon ou la forme d’Aristote, au fond le concept, comme l’ont prouvé les scolastiques. Les universaux, disait très bien Abeilard, sont des concepts dans l’esprit. Mais la philosophie du moyen âge négligeait la réalité, l’expérience, et Locke en a appelé au contraire à l’expérience pour expliquer les idées générales dans l’esprit. Autre chose pourtant est de dire que « sans la perception sensorielle nul concept n’eût été possible », ou de dire que « la perception sensorielle des objets suffit à produire les concepts dans l’esprit de l’homme ». Locke a eu tort de tirer les concepts de l’expérience sensible par le secours d’un mystérieux procédé d’abstraction, qu’il refuse aux animaux ; son mérite a été de voir clairement la correspondance du langage et de la pensée. Une question de première importance ne lui est pas venue : « Quel est le rapport de notre pensée à la réalité du monde ? » Il était réservé à Kant de la bien poser et de la résoudre, de finir pour toujours la querelle du moyen âge en montrant que les concepts sont le réel pour l’esprit et lui servent à qualifier le réel extérieur.

La langue se fait par le signe (Zeichen) et l’image (Bild). Qu’est-ce que le signe ? Il n’est pas le but, mais le moyen de la connaissance. Il est la manifestation, en premier lieu, d’une volonté ; en second lieu, d’une sensation. Un autre caractère du signe est d’être un acte du vouloir ; l’animal reste sous la dépendance de la représentation présente, notre représentation volontaire lui est impossible. Et d’ailleurs le signe n’est que relatif : une chose en rappelle une autre. En résumé, le signe est : 1o manifestation sensible du dedans ; 2o produit ou acte du vouloir ; 3o moyen du souvenir. Il possède enfin un caractère de généralité, qui nous conduira au concept. Dans le signe, en effet, on peut considérer le genre ou l’espèce. Quel est le primitif, du signe-genre ou du