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des criminels, finit pourtant par admettre la réalité de ce type ; seulement il voudrait le distinguer, non pas de l’homme normal, mais de l’homme savant, de l’homme religieux, de l’homme artiste, de l’homme vertueux. Voilà une idée qui fera peut-être son chemin, mais sur laquelle, pour le moment, il est impossible de discuter, puisque toutes les données nous manquent. Elles ne nous manquent pourtant pas pour affirmer la réalité du type ou plutôt des types criminels, quoiqu’ils ne soient opposés qu’à l’homme non criminel, contraste qui probablement serait beaucoup plus frappant, si l’on pouvait choisir les antipodes des criminels, c’est-à-dire les hommes vertueux. Contentons-nous des observations qu’on a pu faire jusqu’à présent[1].

Peut-on dire, maintenant, que l’anthropologie criminelle est déroutée, ou que ses indices sont trop vagues pour être pris au sérieux ? Il y a encore un autre fait à remarquer : La fréquence des anomalies dégénératives dont nous avons parlé augmente beaucoup chez les grands criminels[2], les auteurs des crimes les plus affreux dans les circonstances les plus atroces. Il est rare que les assassins pour cause de vol, par exemple, ne présentent pas quelques-uns des traits les plus saillants qui les rapprochent des races inférieures de l’humanité : le prognathisme, le front fuyant et étroit, les arcades sourcilières proéminentes, etc. Il est difficile de démontrer ce fait autrement que par de nombreux témoignages, et on pourra en puiser tant qu’on voudra dans les ouvrages de Virgilio, Lombroso, Marro, Lacassagne, Ferri. Mon expérience personnelle m’a toujours confirmé dans cette persuasion. J’ai choisi une fois par exemple un certain nombre d’assassins remarquables, que je n’avais jamais vus, mais dont je connaissais les crimes dans tous leurs détails, d’après la lecture des pièces formant leurs dossiers, je suis allé les visiter dans leur prison, et j’ai pu me convaincre que pas un seul d’entre eux n’était exempt de quelques caractères dégénératifs très frappants[3].

Le fait étant sûr (et il l’est, puisque les cas où de telles anomalies n’existent pas ne sont que des exceptions parmi les grands criminels

  1. Lombroso affirme que les criminels italiens ressemblent aux criminels français et allemands bien plus que chacun de ces groupes ne ressemble à son type national. D’un autre côté Heger déclare que ses observations lui ont donné un résultat contraire, mais il faut remarquer qu’il a limité ses études à la craniologie, et ne s’est pas occupé des caractères extérieurs. Pour ma part je n’ai pu faire d’observations directes à ce sujet.
  2. « Les signes anatomiques sont plus fréquents chez les célébrités que dans la population ordinaire de la république des criminels, » a dit M. Benedikt dans son remarquable discours au Congrès de Phréniatrie d’Anvers, septembre 1885.
  3. Voir ma Contribution à l’étude du type criminel, publiée dans les bulletins de la Société de Psychologie physiologique, Paris, 1886.