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pine. On connaît leur insensibilité morale, d’après le cynisme de leurs révélations, même devant le public, à la cour d’assises ; les assassins qui ont avoué leur crime ne reculent pas devant la description des détails les plus affreux ; leur indifférence est complète pour la honte dont ils couvrent leurs familles, pour la douleur de leurs parents. Ils sont tout à fait incapables de remords, non seulement de ce noble remords, qui, comme le dit M. Lévy Bruhl[1], n’est plus la crainte du châtiment, mais en est le désir et l’espérance, et qui fait demeurer inconsolablement fixé sur la pensée du mal qu’on a fait ; mais même d’un seul regret, d’un mouvement trahissant une émotion lorsqu’on leur parle de la victime.

On peut avoir des doutes sur l’exactitude des observations faites par des personnes étrangères à leur vie ; mais en aura-t-on lorsque les détails nous viennent d’un écrivain illustre, qui a passé parmi eux de longues années enfermé dans la « maison des morts » ? Dostojewsky, tout en exécutant une œuvre d’art, nous a donné la psychologie la plus complète du criminel, et, ce qu’il y a d’étonnant, c’est que ce portrait du malfaiteur slave, enfermé dans une prison sibérienne, ressemble parfaitement au portrait du malfaiteur italien tracé par Lombroso. « Cette étrange famille, dit Dostojewsky, avait un air de ressemblance prononcé, que l’on distinguait du premier coup d’œil….. Tous les détenus étaient moroses, envieux, effroyablement vaniteux, présomptueux, susceptibles et formalistes à l’excès… C’était toujours la vanité qui était au premier plan… Pas le moindre signe de honte ou de repentir… Pendant plusieurs années je n’ai pas remarqué le moindre signe de repentance, pas le plus petit malaise du crime commis… Certainement la vanité, les mauvais exemples, la vantardise ou la fausse honte y étaient pour beaucoup… Enfin, il semble que, durant tant d’années, j’eusse dû saisir quelque indice, fût-ce le plus fugitif, d’un regret, d’une souffrance morale. Je n’ai positivement rien aperçu… Malgré les opinions diverses, chacun reconnaîtra qu’il y a des crimes qui, partout et toujours, sous n’importe quelle législation, seront indiscutablement crimes, et que l’on regardera comme tels tant que l’homme sera homme. Ce n’est qu’à la maison de force que j’ai entendu raconter, avec un rire enfantin à peine contenu, les forfaits les plus étranges, les plus atroces. Je n’oublierai jamais un parricide, ci-devant noble et fonctionnaire. Il avait fait le malheur de son père. Un vrai fils prodigue. Le vieillard essayait en vain de le retenir par des remontrances sur la pente fatale où il glissait. Comme il était criblé de dettes, et qu’on soupçonnait son père

  1. Levy Bruhl, L’idée de responsabilité, p. 89, Paris, 1884.