prend dans ses bras, lui annonce qu’il va le tuer, et, malgré ses pleurs et ses supplications, le jette dans un puits ; de cette jeune fille de douze ans, dont les journaux ont récemment parlé, qui, à Berlin, a jeté par la fenêtre sa petite sœur, et, devant les juges, a avoué cyniquement qu’elle avait fait cela pour se débarrasser de cette enfant, qui l’ennuyait, en ajoutant qu’elle était très contente de sa mort.
L’anomalie psychique est trop manifeste dans des cas de ce genre et toute la question se réduit à ces termes : si la nature de cette anomalie est pathologique, si elle est la même que celle de la folie, si elle doit constituer une nouvelle forme nosologique : la folie morale, la moral insanity des Anglais ; il faut dire pourtant que cette forme d’aliénation n’est que douteuse, malgré les études approfondies de Maudsley et de Krafft-Ebing, puisqu’il existe des cas dans lesquels il est impossible de signaler un trouble quelconque des facultés intellectuelles — et ces cas n’en sont pas rares. On est obligé de convenir souvent, malgré les plus grands efforts pour trouver quelques traces de folie, que l’on est en présence d’un individu dont l’intelligence ne laisse rien à désirer, et chez lequel il n’y a aucun symptôme nosologique, si ce n’est l’absence du sens moral, et que, selon l’expression d’un médecin français, quoi qu’il en soit de l’unité de l’esprit humain dans la folie, « le clavier psychique a une note fausse, une seule[1]. »
Mais je reviendrai tout à l’heure sur cette question. Je veux dire pour le moment que des individus comme ceux dont je viens de parler sont d’une nature psychique à part, chacun le sent. Pourtant ces grands criminels, ces enfants nés avec un instinct féroce, ne sont que les cas les plus saillants ; en descendant l’échelle de la criminalité, il est tout naturel que l’anomalie morale devienne moins frappante ; mais, néanmoins elle doit exister toujours jusqu’au dernier échelon. Natura non facit saltum. C’est une série décroissante dont les termes les plus bas sont très rapproches de l’état normal, de sorte qu’il devient très difficile de les distinguer. Il est donc inutile d’arriver tout au bas de l’échelle ; contentons-nous de la classe intermédiaire, celle, par exemple, des condamnés aux maisons de force.
Nous avons des descriptions complètes de leurs sentiments, de leur impassibilité, de l’instabilité de leurs émotions, de leurs goûts, de leur passion effrénée pour le jeu, pour le vin, pour l’orgie. Leur imprudence et leur imprévoyance sont deux caractères qui les distinguent surtout, selon la remarque faite depuis longtemps par Des-
- ↑ Voir Revue des Deux Mondes, 1er novembre 1886. Les aliénés en France et à l’étranger, par V. du Bled.