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GAROFALO.l’anomalie du criminel

paraître tout à fait du vocabulaire de la science. D’abord cela engendre bien des malentendus ; et c’est à cause de cette formule qu’on a reproché à notre école de faire de la criminalité un chapitre de la folie. Ensuite le mot « folie » est synonyme d’aliénation mentale. Or, quoique la raison et le sentiment aient une origine commune dans le système nerveux, on ne saurait ne pas convenir que ce sont des activités bien différentes, et qu’il peut arriver que l’une d’elles, la faculté d’idéation, soit parfaitement régulière, pendant que l’autre, la faculté des émotions, soit anormale. Enfin, le mot « folie » ou « aliénation » implique l’idée d’une infirmité, puisqu’on n’admet plus la folie non pathologique de Despine. Or, nos criminels instinctifs ne sont pas des malades. C’est sur ce point qu’il nous faut nous arrêter quelque peu.

Lorsque la névrose des criminels n’a d’autres symptômes que ces caractères physiques et psychiques que nous venons d’esquisser, sans le moindre trouble des facultés d’idéation, sans qu’on puisse constater l’existence d’une névrose d’un genre différent, l’hystérie, par exemple, ou l’épilepsie, pourra-t-on dire qu’il s’agit d’un état pathologique ? On ne le pourrait qu’autant que les mots de maladie et d’anomalie seraient considérés comme ayant un sens identique. En ce cas, il n’y aurait plus de différence entre les états physiologiques et les états pathologiques, puisque toute déviation atypique, toute abnormité du corps, toute excentricité du caractère, toute particularité du tempérament, deviendrait une forme nosologique… Or, comme il n’y a presque pas d’individu qui n’offre quelque singularité au physique ou moral, l’état de santé deviendrait une exception, puisqu’on ne le trouverait jamais dans la réalité. Et pourtant il y a un état de santé physique et de santé intellectuelle ; il y a encore une zone intermédiaire entre ces états et ceux de maladie, ce qui fait qu’on ne nous a pas encore donné une définition parfaite de l’aliénation ; cela n’empêche pas que « dans chaque cas » on ne puisse distinguer un fou d’un homme normal[1].

La distinction entre anomalie et infirmité n’est pas nouvelle ; il s’en faut de beaucoup. J’en donnerai un exemple : — le Digeste, à propos de la résiliation de la vente d’un esclave, distingue le vitium du morbus : « Utputa si quis balbus sit, nam hunc vitiosum magis esse quam morbosum ». Le muet, ajoute Sabinus, est un infirme, non pas celui qui parle avec difficulté et d’une manière peu intelligible… Celui qui manque d’une dent n’est pas un infirme (Paulus), etc.[2].

  1. Taylor, Traité de médecine légale, traduit par le Dr J. Coutagne. Livre VI, chapitre LXI, Paris, 1881.
  2. Digeste, livre XXI, titre I. Voir Fioretti : Polemica in difesa della scuola criminale positiva, 1886, p. 254.