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instincts égoïstes ; les seconds, par une faiblesse organique, une névrasthénie morale selon M. Benedikt, c’est-à-dire par une impuissance des agents de résistance aux impulsions provoquées par le monde extérieur.

Dans la première classe, il faut distinguer d’abord certains états pathologiques, tels que l’imbécillité, la folie, l’hystérie, l’épilepsie, associées à des impulsions criminelles, états qui peuvent être congénitaux ou acquis ; ensuite, l’anomalie exclusivement morale, caractérisée par la perversité ou l’absence des instincts moraux élémentaires et qui n’est pas une infirmité.

C’est sur ce dernier point que bien des doutes ont été soulevés.

Nous trouvons d’abord contre nous ceux qui n’admettent pas la fatalité d’une volonté esclave des penchants ou des instincts, et qui ne peuvent comprendre qu’une âme puisse être entraînée au mal, par la spécialité de l’organisation individuelle, sans que l’intelligence soit troublée ou qu’une infirmité empêche la soumission des actes à la volonté. Nous nous abstiendrons de discuter la question à ce point de vue trop général ; il nous suffira de faire remarquer qu’il y aurait malentendu, si l’on nous attribuait l’idée que tout penchant criminel doit nécessairement pousser à l’action. Nous croyons au contraire que la manifestation de ce penchant peut être réprimée par l’heureux concours d’innombrables circonstances extérieures, même par ces individus dont la perversité est innée. Que la volonté soit la résultante de plusieurs forces, ou qu’elle soit un mouvement psychique initial, ce qui est sûr c’est qu’on pourra trouver un motif plus énergique que les impulsions criminelles, la frayeur de la guillotine, par exemple, ou la crainte de perdre des avantages plus grands que ceux que l’on gagnerait par le crime. Il faut ajouter que l’absence du sens moral n’est que la condition favorable pour que le crime s’accomplisse à un moment donné, mais que plusieurs personnes, tout en ayant une prédisposition de ce genre, ne deviennent jamais criminelles, parce qu’elles peuvent assouvir leurs plus grands désirs, sans nuire le moins du monde aux autres. C’est ainsi que des hommes à l’instint criminel latent passent pour des honnêtes gens toute la vie, parce que le moment ne s’est pas présenté pour que le crime leur fût utile. Libre à qui veut de croire que le mérite en revient à leur volonté et non pas exclusivement à la situation où ils ont eu le bonheur de se trouver.

Nous passons à l’objection qui nous vient d’un côté diamétralement opposé. Plusieurs aliénistes rangent l’anomalie des criminels parmi les formes de la folie, sous le nom de folie morale. Nous croyons que c’est une formule impropre, et qu’il vaudrait mieux la faire dis-