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l’état latent, ce qui serait inutile si, comme les aliénés, ils n’agissaient que sous l’empire de leurs impulsions intérieures.

C’est pourquoi nous avons tenu à combattre la formule dangereuse de la folie morale et à distinguer nettement le criminel de l’aliéné.

V

Le criminel typique, celui qui présente le plus fréquemment des anomalies anatomiques et psychologiques, manque totalement des sentiments altruistes, ce produit de l’évolution incompatible avec les caractères régressifs que nous avons indiqués.

Lorsqu’il y a égoïsme parfait, c’est-à-dire absence de tout instinct de bienveillance ou de pitié, il est inutile de rechercher les traces du sentiment de la justice, puisque ce sentiment a une origine postérieure, et qui suppose un degré plus élevé de l’évolution morale. Le même criminel sera donc voleur et meurtrier à l’occasion ; il tuera pour de l’argent, afin de s’emparer du bien d’un autre, pour en hériter, dans le but de se délivrer de sa femme et d’en épouser une autre ; ou pour se débarrasser d’un témoin, ou pour se venger d’un tort insignifiant ou imaginaire, ou encore pour montrer son adresse, son œil sûr, son poing ferme, son mépris pour les gendarmes, son aversion enfin pour toute une classe de personnes.

Ce criminel typique est-il le représentant de l’homme préhistorique, est-il comparable au sauvage moderne ? C’est l’idée de M. Lombroso, combattue par M. Tarde. Je ne passerai pas en revue les arguments pour et contre. Je remarquerai seulement que si nous acceptons la théorie évolutionniste, il ne peut y avoir de difficulté à admettre que l’homme préhistorique, vivant seul avec sa progéniture, ne pouvait avoir des sentiments vraiment altruistes. Il faut remarquer pourtant que, chez lui, l’altruisme n’était pas développé par l’absence des conditions de vie sociale, pendant que, chez le criminel, il y a impuissance de ce sentiment, malgré le milieu social où il se trouve dès sa naissance. Quant aux caractères anatomiques, le rapprochement le plus digne d’attention consisterait dans le prognathisme[1] démesuré de quelques crânes, du Néanderthal et de Cro-Magnon. Mais ces quelques faits, comme le dit M. Topinard,’ne permettent pas une conclusion[2]. Les preuves nous font défaut, mais on ne saurait douter pourtant du caractère régressif du prognathisme, lorsque

  1. Suivant Lombroso le prognathisme atteint, chez les criminels, le 69 p. 100. M. Marro a remarqué le développement exagéré des mandibules dans le rapport de 52 p. 100. Les sanguinaires, pris à part, offrent la proportion de 66 p. 100.
  2. Topinard, Anthrpologie, p. 451 et 432, 3e édition. Paris, 1879.