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GAROFALO.l’anomalie du criminel

On dit, en pareil cas, qu’il y a disproportion entre la cause et l’effet. Cette expression est philosophiquement absurde ; la proportion ne peut qu’exister toujours. C’est que la cause n’est pas uniquement celle qu’on croit connaître ; on n’a qu’à ajouter au mobile insuffisant, le manque de sens moral avec l’amour-propre exagéré, la vanité immodérée, la susceptibilité excessive, ces caractères qui, comme nous l’avons vu, se retrouvent si fréquemment parmi les criminels.

M. Tarde, tout en acceptant mes idées sur la différence entre la folie dite morale et l’instinct criminel, différence qu’il dit être capitale, les complète par ce passage remarquable :

« Pour le fou lui-même, le méfait est bien, si l’on veut, un moyen de plaisir, puisque, comme Maudsley l’observe, l’exécution de l’homicide procure un vrai soulagement à celui qui l’a commis, en vertu d’une impulsion morbide irrésistible, mais c’est la nature anormale de ce plaisir, et le fait de n’en pas chercher d’autre en commettant un crime, qui distingue l’aliéné du délinquant. Le délinquant, il est vrai, a des anomalies affectives aussi, mais elles consistent à être dépourvu, plus ou moins complètement, de certaines douleurs sympathiques, de certaines répugnances, qui sont assez fortes chez les honnêtes gens pour les retenir sur la pente de certains actes. Autre chose est la présence d’un attrait morbide qui même sans provocation du dehors pousse à l’action, autre chose est l’absence interne d’une répulsion qui empêche de céder à des tentations extérieures. »

Au surplus, il ne s’agit pas d’une simple question de mots, comme on pourrait le penser, peut-être, en remarquant que nous admettons un substratum somatique à l’anomalie tout aussi bien qu’à la maladie. Cette différence importe beaucoup au point de vue de la science pénale ; elle fournit la possibilité de justifier la peine de mort, qui aurait l’air d’une cruauté inutile si l’on considérait les criminels comme des êtres souffrants et, par là même, ayant droit à notre pitié, à notre sympathie même, parce que le crime n’est chez eux qu’un accident de leur infirmité, non l’effet de leur caractère ou de leur tempérament ; l’aliénation mentale, comme le dit Shakespeare, c’était « l’ennemi du pauvre Hamlet… Il en était offensé autant que ceux qui, à cause de lui, en avaient souffert. » Le caractère, le tempérament, au contraire, c’est bien la physionomie morale de l’individu ; c’est le moi.

Cette différence, en outre, rend possible la recherche des moyens d’avoir raison d’un grand nombre de délinquants, dont l’anomalie n’est pas excessive, en les plaçant dans un milieu incapable de les déterminer à l’action, ou dans lequel l’activité honnête leur soit plus utile que l’activité malfaisante ; de sorte que leur perversité reste à