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GAROFALO.l’anomalie du criminel

fort. Dans ce dernier cas, le criminel peut se rapprocher de l’homme normal ; la nuance peut même devenir imperceptible, lorsqu’il s’agit, par exemple, d’une réaction instantanée contre une injure inattendue et excessivement grave ; le meurtre même peut, dans des cas pareils, perdre l’horreur qui le caractérise ; du moment qu’une réaction violente n’est pas blâmable, le meurtre ne parait qu’excessif ; c’est là une différence de degré ; mais c’est cette différence même qui prouve l’existence d’un minimum d’anomalie morale.

Nous croyons donc qu’un élément psychique différentiel doit toujours exister. Examinons, par exemple, le cas où un état passionné permanent est l’effet du tempérament. La colère n’est qu’un désordre élémentaire des fonctions psychiques, une manière anormale dans laquelle le cerveau réagit contre les excitations extérieures, et qui, comme le dit le Dr Virgilio, accompagne souvent les états dégénératifs caractérisés par le défaut de développement des organes cérébraux ou par la faiblesse excessive du système nerveux provenant d’une cause héréditaire. Maintenant, ce tempérament peut-il suffire, à lui seul, pour expliquer un acte de cruauté, ou, en d’autres termes, un meurtrier par colère peut-il être doué d’un sentiment d’humanité égal à celui des non-criminels ?

Je ne le pense pas. Quoique un homme en proie à un violent accès de colère frappe souvent de la main celui qui a excité cette colère, il ne lui plonge pas son couteau dans le ventre. La colère ne fait qu’exagérer le caractère ; elle est la cause déterminante du crime, mais elle ne le détermine que chez un sujet qui ne possède pas cette force de résistance morale qui vient du sentiment altruiste. Il va sans dire que le cas d’un état vraiment pathologique, tel qu’une névrose ou une phrénose, dont la passion ne serait qu’un symptôme, doit être excepté.

Une question qui se rattache à la précédente est de savoir si les agents extérieurs, tels que les boissons alcooliques ou une température élevée, peuvent engendrer des états de passions assez vifs pour pousser un honnête homme à un acte criminel. La statistique comparée prouve que l’alcoolisme est très peu répandu chez les peuples qui occupent la place la plus élevée dans la statistique du meurtre ; que ce vice, au contraire, est très commun chez d’autres peuples où le meurtre est excessivement rare[1]. Sans doute l’ivresse excite facilement les esprits, elle est souvent la cause de rixes et de querelles, pourtant il n’y a que les ivrognes à tempérament criminel

  1. Voir, à ce sujet, une monographie très intéressante de M. N. Colajanni, l’Alcoolismo, sue conseguenze morali, e sue cause. Catania, 1887.