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DELBŒUF.de la prétendue veille somnambulique

chaise. Réveil. Souvenir intégral, comme dans tout ce qui va suivre.

3. Il fait froid. Heureusement, B. est un poêle. Il se décrit et désigne, en les mettant à leur place, ses diverses pièces. Il prend une pelletée de charbon et se la jette dans le ventre. Réveil, souvenir.

4. B. est un quinquet. Comme il fait noir, il prend une allumette, l’enflamme, l’approche de sa chevelure. Réveil, souvenir.

5. B. est un petit cochon de lait. M….., hypnotisée, le met en vente et en demande 20 francs. B. reste immobile, la tête fortement inclinée sur l’épaule, dans une attitude de résignation. Je dis à M….. de le soulever par la queue. « Elle ne peut pas, il est trop lourd. » Je dis à B. qu’on va le tuer. À l’instant, il se jette à quatre pattes, fait de violents efforts pour se sauver, et entraîne M….. qui cherche à le retenir. Je réveille M….. Elle se souvient, et essaye avec moi de réveiller B. Mais B. tient la face contre terre et se débat comme un beau diable, sans dire une parole. Acteur n’a jamais mieux que lui mérité qu’on le loue d’entrer dans la peau de son personnage. Pas moyen que je lui souffle dans la figure. Enfin M. Ch….. vient à mon aide, réussit à le maintenir un instant, et je le réveille non sans peine. Oubli total. La lutte a bien duré de trois à cinq minutes.

6. Trois songes consécutifs sans réveil intercalaire. B. a la mine d’une personne parfaitement éveillée. Dans les intervalles de repos, il s’assied d’un air si naturel et semble prêter une si grande attention à ce qu’on dit et ce qu’on fait que son état réel ne se trahit que par sa suggestibilité. B. va planter avec moi des pommes de terre. Je lui présente une règle en guise de bêche. Il la considère un instant : « Ne sauriez-vous m’en donner une avec un plus long manche ? — Ça ira quand même. » Il bêche, en appuyant vigoureusement le pied sur le fer. Le travail fini, je lui persuade qu’il est fatigué et qu’il a chaud. Il s’évente, s’agite, veut ôter ses habits. Je lui donne un verre de vin (réel) ; ce vin lui fait du bien ; il le ranime, le rafraîchit. » Repos.

Il doit aider les servantes à étendre le linge sur le gazon. On lui présente des journaux, des papiers, un mouchoir de poche, etc., sous les noms de chemise, nappe, pantalon, etc. Le travail achevé, il s’assied. Nouveau verre de vin. Me proposant de passer au troisième rêve, je commande aux servantes de rassembler les papiers. B. les aperçoit (il n’a donc pas entendu ce que j’ai dit) : « En voilà des servantes ! elles reprennent le linge qui n’est pas sec ! » Et leur jetant un regard de travers, il remet le tout en place.

Mais une chemise manque : c’est le mouchoir de poche que J….. tient en main. Il le lui arrache, le presse entre ses mains en la regardant d’un air de pitié méprisante : « Encore toute mouillée ! Je l’étends ; voyez-vous ? Et n’y touchez plus ! »