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J… s’étonne de ces choses, et moi avec elle. Elle n’y comprend rien, ni moi non plus. Souvent le sommeil hypnotique forme la matière de nos entretiens. Exemple[1] : Je suis accoudé à la cheminée ; J… est devant moi, et notre causerie tombe sur l’hypnotisme. « Ce que je ne comprends pas, monsieur, c’est que je ne puis pas empêcher ce que vous voulez. — Je ne le comprends pas plus que vous. Pourquoi, si je vous dis que votre bras est raide, votre bras est-il raide ? — Qui, pourquoi est-il raide ? Ah ! que c’est gênant, voyons, ôtez-moi cela ! »

Vous allez croire que, cette fois encore, J… est endormie ; non, elle est éveillée, bien que quelque chose d’indéfinissable soit venu s’étendre sur sa physionomie ou sur son regard. Néanmoins, si je lui souffle dans la face, son bras redeviendra souple. Mais ce souffle ne produit pas de réveil, il n’est que le signe de la disparition du phénomène. Par quoi la suggestion a-t-elle été opérée ? Oh ! par un rien. J’ai prononcé une phrase avec un léger ton impératif, et cela a suffi. Aujourd’hui je saurai, presque à coup sûr, prendre le ton voulu pour produire ou ne pas produire la suggestion, et je saurai lire sur le visage de J… si elle a porté ou non. Et pourquoi J… n’est-elle pas endormie ? Parce que la suggestion a un substratum réel.

Voilà J… délivrée de sa contracture. « Pourtant, J…, si vous ne vouliez pas une bonne fois, comme il faut, cela n’arriverait pas. Voyons, résistez de tout votre pouvoir. — Oui, monsieur. — J…, votre bras est raide. » J… change de physionomie ; mais elle est plutôt dépitée et non hypnotisée.

Je reprends et continue : « Ainsi donc, J…, si je vous fais voir quelque chose qui n’existe pas, vous le voyez. — Comment ? sans m’endormir ? — Mais oui. Voyez-vous quelle abondante chevelure couvre mon front et quelle belle barbe noire ! »

Le lecteur comprend sans doute que ma barbe est blanche et que non front est bien près de faire le tour de ma personne. Voilà J… qui admire ma chevelure, et passe sa main dans la longue barbe noire qui pend devant ma poitrine. Mais cette fois l’œil est fixe, l’air sérieux et significatif pour quiconque a étudié d’un peu près la physionomie des hypnotisés. Je souffle dans sa figure ; l’illusion s’évanouit, ainsi que le nuage qui s’était répandu sur ses traits.

Bien mieux, je puis détruire la réalité, parcelle par parcelle. Je saurai prendre un certain ton qui lui fera dire : « Pas tout à fait noire, monsieur, il y a assez bien de poils blancs », ou bien : « Oh !

  1. J’ai tout récemment répété ces expériences devant mes collègues MM. von Winiwarter et Nüel, tous deux professeurs à la faculté de médecine de Liège.