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DELBŒUF.de la prétendue veille somnambulique

son bras qu’elle ne sent plus. « Ça lui a pris depuis deux minutes. » Je lui rends son bras. Elle pousse un profond soupir comme quand je la réveille. Maintenant « elle est bien éveillée. Tantôt elle se sentait éveillée au-si, mais avait quelque chose de si drôle sur le corps. » Elle ne se souvient pas que je lui ai fait une suggestion.

Je lui annonce qu’à dix heures la même chose lui arrivera. Elle s’éloigne en souriant et en disant que non, qu’elle saura empêcher cela. Je ne saisis aucune altération dans sa physionomie. Une minute après, je lui demande si elle se souvient de la suggestion. Elle me reproduit tout l’interrogatoire qui précède, mais ce n’est que par mon insistance qu’elle se rappelle la dernière suggestion : « elle ne viendra pas. » Dix minutes après, interrogée, elle s’en souvient encore, mais m’avoue qu’elle l’avait presque oubliée. À dix heures, elle a ressenti de la lourdeur dans le bras, mais, m’a-t-elle dit, elle n’a pas voulu venir, et elle n’est pas venue.

Ici, nous n’avons affaire qu’à une demi-hypnotisation. À parler exactement, le sujet est tiraillé en sens divers, et l’hypnotisation qui est en train d’assurer ses effets est comme entravée dans sa marche, et les effets ne se manifestent qu’incomplètement.

Il résulte de là qu’à la date du 7 mai, J… était encore susceptible d’oublier, et cet oubli était un signe de l’état hypnotique. L’éducation a tendu de plus en plus à effacer ce signe. À la même date, M… gardait intact et longtemps le souvenir des suggestions qui lui étaient faites.

Mais, ce qui est vraiment merveilleux, c’est la puissance avec laquelle les ordres s’implantent dans le cerveau des personnes hypnotisées ou hypnotisables. Depuis une huitaine de jours[1], je fais des expériences continues sur l’appréciation du temps par les somnambules. Tous les jours, J… et M… reçoivent une et quelquefois deux suggestions. Comme je n’ai besoin que de constater une heure, l’ordre est des plus simples et des plus banals : donner la main à un de mes enfants, du foin à l’âne, un os au chien, faire une fausse commission près de ma femme ou de moi, en un mot, des niaiseries. Le croirait-on ? l’accomplissement de ces niaiseries les tourmente ; elles se demandent si elles doivent faire cette chose qui leur paraît ou puérile, ou familière, ou fantasque. J’ai eu beau les prévenir que je leur donne une suggestion tous les jours — ce que je ne fais d’ailleurs qu’avec leur consentement — j’ai beau leur annoncer à l’avance l’injonction que je me propose de leur intimer ; j’ai beau même attirer spécialement leur attention à l’instant où je les hypnotise et à l’instant où je les réveille, sur ce que je viens de leur glisser dans

  1. J’écris ces dernières lignes au commencement d’octobre.