l’oreille en le leur répétant, l’hypnotisation ne laisse aucune trace dans leur souvenir, et au moment où la suggestion va se réaliser, toute autre chose disparaît ; elles ne se souviennent pas de ce que j’ai pu leur dire à ce sujet ; elles sont tout entières à leur obsession.
Elles savent dans quel but je fais mes expériences ; elles savent que je note seulement l’heure et la minute où l’idée de l’acte leur apparaît ; elles savent, pour me l’avoir entendu répéter vingt fois, qu’il est inutile qu’elles courent après mes enfants, l’âne ou le chien, ou montent chez ma femme, et que la connaissance de leur intention me suffit ; au moment psychologique, comme on dit aujourd’hui, elles ne savent plus rien ; elles courent après mes enfants, l’âne ou le chien ou montent chez ma femme. Je ne puis assez admirer leur obstination et leur stupidité. « C’est que vous avez beau dire, vous, monsieur, me dit J…, dans son langage naïf et précis ; mais quand ça vous prend, vous n’êtes plus vous, et vous n’êtes plus chez vous. La chose vous trotte dans la tête, et vous ne pensez plus à rien d’autre. »
Décidément il est bien certain qu’elles se réhypnotisent. La suggestion est comme un œuf pondu par l’hypnotiseur dans le cerveau de l’hypnotisé, qui éclôt à l’heure prévue, et accomplit fatalement son évolution.
XI
Il s’agissait maintenant de s’assurer si les caractères de la veille somnambulique ne variaient pas lorsque les suggestions étaient faites à l’état de veille, c’est-à-dire sans hypnotisation préalable. C’est ce que je fis quelques jours plus tard. Je romps le récit chronologique de mes expériences pour les ranger dans un ordre plus logique.
Assuré que les rêves que je donnais à J….. et à M….. pouvaient se réaliser de la même manière chez d’autres somnambules, je repris le 25 avril, avec celles ci, le cours de mes expériences, puisant mes inspirations soit dans le répertoire connu des rêves, soit chez les auteurs de contes fantastiques, tels que Chamisso et Hofmann.
1. M….. est priée de passer quelques friandises aux invités. Elle ne demande pas mieux, mais il n’y en a point. Elle ne sait donc pas que son bras est du massepain. À l’instant, elle porte son doigt à sa bouche. Sur mon ordre, elle en coupe, avec un couteau de bois, des tranches qu’elle met sur un plateau et passe à la société. Souvenir.
2. J….. n’a plus de poids et peut s’élever sans effort dans les airs.