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DELBŒUF.de la prétendue veille somnambulique

J….. plane, d’un geste superbe, les bras en l’air, se dressant sur la pointe des pieds. Réveillée au moment où elle fait un effort marqué pour s’élancer dans l’espace. Souvenir. « Voilà au moins un rêve agréable ! »

3. Changements de personnalité.

1o J….. devient très petite. Elle se contemple avec consternation, et fait des réflexions désolantes sur ses mains, ses pieds, son corps. Pendant ce temps, je persuade à M….. qu’elle a des poils, une longue queue, des oreilles droites, des moustaches, des griffes. « Je suis un chat ! » Elle se jette à quatre pattes. Je retourne à J…., à qui je dis qu’elle est souris. Elle se jette aussi à quatre pattes. Je lui montre le chat. Alors J…., avec les gestes les plus vrais et les plus comiques, bondit de coin en coin, se tapit derrière les meubles, se glisse sous un sopha pendant que le chat, lui, se traîne lourdement vers elle. La scène est désopilante.

Réveillée dans un coin, J….. ne se souvient de rien. « Elle se cachait, mais elle ne sait pourquoi. » Nous lui narrons son rêve ; le souvenir en est décidément aboli. C’est naturel. Au contraire, M….., réveillée pendant qu’elle se traîne, se souvient du personnage qu’elle jouait.

2o J….. est légère comme une plume, elle voltige dans les airs sous le souffle du vent ; elle devient oiseau ; elle fend l’espace. Un plomb lui casse une aile, elle tombe ; néanmoins elle reste debout. Réveillée, elle n’a nul souvenir. Quelqu’un en exprime son étonnement ; à tort, car l’attitude de J….. à son réveil n’a pour elle rien d’étrange ni rien d’inexplicable. Nous faisons sur-le-champ la contre-épreuve. J….. est encore oiseau ; elle est épervier ; elle cherche une proie ; un pigeon passe (c’est mon mouchoir que je jette en l’air). J….. s’en saisit et le prend dans ses dents. Réveil et souvenir.

4. Invraisemblances.

1o M….. est invitée à remuer ses bras et ses jambes. Mais voilà que ses jambes se détachent et s’enfuient. M….. veut courir après. Je lui fais observer que, n’ayant plus de jambes, elle ne peut courir (ceci confirme ce que je disais plus haut touchant la logique bornée des somnambules). Cette réflexion la cloue sur place, et d’un ton navré : « Elles sont parties, monsieur ! » Je les lui montre dans un coin de l’appartement. Suivant son habitude, elle se refuse d’abord à les reconnaître ; puis finit par jeter vers elles un regard de convoitise. « Étendez les bras. — Ils ne sont pas assez longs. — Ils vont s’allonger, voyez ! » M…., au moyen de ses bras démesurément longs, ressaisit ses jambes et se les rattache. Elle est heureuse ; elle marche. Mais voilà qu’une jambe se détache encore et s’en va. M….. la poursuit