Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIII.djvu/289

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
279
DELBŒUF.de la prétendue veille somnambulique

Endormie, elle répond par un je ne veux pas, je n’irai pas à toutes mes injonctions. Vers la fin, elle faiblit et garde le silence. J’insiste de nouveau pour qu’elle me réponde une dernière fois par un refus formel. Elle le fait. Je lui laisse le dernier mot.

Réveillée, je lui répète notre conversation. Elle prend la ferme résolution de ne pas obéir. Je crains bien un peu de gâter mon sujet. Ce qui me rassure, c’est qu’elle me refuse en quelque sorte par mon ordre, et qu’ainsi je puis continuer à exercer sur elle ma domination.

Dix heures et demie du soir. J….. a mis ma femme au lit. J’ai été présent tout le temps de la façon la plus naturelle. Nous venons justement de faire les expériences curieuses et amusantes rapportées plus haut. Elles l’ont vivement intéressée et nous les commentons. Les arrangements à peu près terminés, je sors de la chambre une seconde pour prendre un livre, et quand je rentre, j’aperçois J….. près de ma femme, lui disant d’un ton animé : « Vous allez voir qu’il va encore n’arriver quelque chose. Voilà encore l’envie qui me prend d’aller près de monsieur. Mais je ne le ferai pas. »

Ces paroles ainsi que celles qui vont suivre sont textuelles ; je les sténographie à mesure qu’elle les prononce.

J….. passe près de moi avec un air de défi. Elle termine son ouvrage : aller à la fontaine d’un cabinet de toilette remplir d’eau fraîche une carafe pour la nuit. Elle repasse avec le même air, que je ne me lasse pas de décrire, parce que personne au monde, sauf peut-être trois personnes, ne sauraient y découvrir rien de particulier. L’œil bien ouvert, le regard bien franc, bien vif, mais plus profond et plus fixe, un sourire beaucoup moins marqué qu’à l’ordinaire et nuancé de dépit, l’attitude générale du corps plus raide et plus militaire, une expression indéfinissable de décision mêlée à celle de condescendance polie et affable qui forme le côté saillant de sa physionomie habituelle.

Elle va poser la carafe sur le lavabo. Elle me tourne le dos. Je devine la lutte. Elle ouvre le tiroir, elle prend le peigne. Elle le tient en main, le tourne et le retourne. Puis brusquement, elle fait volte-face, vient vers moi d’un pas automatique, et me passe le peigne dans la barbe, me regardant fixement comme si elle me bravait. « J….., lui dis-je d’un ton presque sévère, vous manquez à votre parole. » À l’instant même, elle cesse et reprend son demi-sourire de défi. Nous nous regardons mutuellement dans le blanc des yeux. Ma physionomie doit être impassible comme la sienne. Cependant je me dis mentalement : « Tu le feras », comme elle a l’air de se dire : « Je ne le ferai pas. » Après une ou deux minutes d’immobilité, je passe la main dans ma barbe. J… à l’instant y passe le peigne. Je