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est rien. Je lui donne alors la même suggestion pour le lendemain à la même heure. Elle me répond dans son sommeil d’un ton ferme qu’elle n’obéira pas. Je lui affirme à plusieurs reprises qu’elle le fera. Elle persiste dans ses refus.

Je lui donne une deuxième suggestion. Le surlendemain (lundi 12 avril), elle doit se jeter à genoux après avoir coiffé ma femme. Je donne la même suggestion à M….. pour le même jour à huit heures du matin. Pour ne plus y revenir, cette suggestion est restée sans effet sur l’une et sur l’autre. Peut-être s’est-elle accomplie en rêve.

Enfin deux heures après, je donne à J….. une troisième suggestion : Ce soir, après avoir mis ma femme au lit, elle aura à se décoiffer devant l’armoire à glace.

Je suis présent à la scène. À peine ma femme est-elle au lit, et les objets de toilette remis en ordre, que J….. se dirige vers la glace, avec l’air que nous savons. Je m’approche et je lui souffle à la figure : elle se réveille si visiblement que le doute n’est pas possible. « Cela lui a pris quand madame a été au lit. C’est comme quelque chose qui la peine et la contraint. En lui soufflant dans la figure, je l’ai remise à l’aise, car elle n’est pas à l’aise quand cela lui prend. »

Dimanche 11 avril, sept heures et demie du matin. Je redemande à J….. la description de son état de la veille ; je sténographie ses paroles sous sa dictée : « Quand ça me prend, c’est comme si j’avais commis une grande faute qu’il faut expier ; quelque chose de si triste. Vous m’avez soulagée d’une si grande peine en me réveillant. On n’a pas bon (wallonisme très expressif formé sur l’analogie de avoir chaud, avoir froid), quand ça vous prend. Ça vous serre, c’est comme un poids qui vous étouffe. »

À neuf heures et dix minutes, J… est arrivée pour me peigner. Je lui ai arrêté la main ; elle a passé le peigne dans l’autre main. Je lui ai tenu les deux mains ; elle a lutté faiblement. Elle m’a regardé fixement pendant tout le temps. Je lui ai dit : « Dormez. » Elle a fermé les yeux selon son habitude. Je la réveille, en lui disant : « Réveillez-vous. » Elle s’est réveillée en pleine conscience.

Elle est furieuse ; il y avait dix minutes qu’elle résistait à sa suggestion. Elle s’y sentait contrainte, mais elle ne voulait pas. Cela aussi était une peine, mais moins grande. (J… entend le mot peine dans un sens qui se rapproche de celui de punition.) Elle ne viendra plus ; elle ne veut plus qu’on lui donne cette suggestion.

Je conviens avec elle de continuer l’expérience. Je l’engage à me résister, et à me répondre par un refus. Je lui demande son heure : « Aujourd’hui même, quand madame sera au lit. »