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aux intervalles ainsi obtenus : on voit ainsi nettement en quoi la durée mesurable diffère de la notion du temps ; deux hommes, tout en étant bien d’accord sur le fait de la succession des positions du mobile, peuvent néanmoins ne pas s’entendre sur les nombres qui doivent représenter les intervalles entre ces positions successives ; en tout cas, c’est là une autre question.

Considérons maintenant deux mobiles et prenons leurs mouvements, à partir de deux positions premières simultanées, jusqu’à deux positions nouvelles également simultanées entre elles ; ces deux mouvements seront dits de même durée, cela par définition : il en résulte que si nous savons mesurer la durée du mouvement d’un premier mobile, nous savons par cela seul, grâce au fait de la simultanéité, mesurer la durée du mouvement d’un autre mobile quelconque. Donc, la mesure du temps, sous sa forme la plus générale, est ramenée à la mesure du temps pour un seul mouvement ou, si l’on veut, pour un seul ordre de succession.

La question étant ainsi nettement posée, voyons comment elle a été résolue.

Sur ce point les mécaniciens sont divisés ; les uns veulent que la mesure du temps résulte de la définition de durées égales ; les autres, au contraire, considèrent la notion de la durée mesurable comme une idée première, irréductible, beaucoup plus claire et plus nette que toutes les définitions qu’on pourrait y substituer : examinons ces deux points de vue.

Pour définir des intervalles de temps égaux, cela, bien entendu, avant toute étude du mouvement, on convient de regarder, comme d’égale durée, deux phénomènes de mouvement qui se produisent à des époques différentes, mais dans des conditions identiques ; or qu’est-ce que ces conditions, sinon les conditions mécaniques, qui, seules, sont à considérer dans une question de mouvement. Mais toutes ces conditions mécaniques, vitesse, accélération, etc., supposent qu’on sait d’abord mesurer le temps ; il y a donc là un cercle vicieux dont il est impossible de sortir. En réalité, tout instrument servant à mesurer le temps est construit d’après des données théoriques qui impliquent une hypothèse préalable sur la mesure du temps et qui, par conséquent, ne peuvent servir à contrôler cette hypothèse : citons un exemple des plus connus. On sait que le mouvement de rotation de la terre, mouvement dont nous n’avons pas conscience, se reproduit fidèlement, comme dans un miroir, dans le mouvement apparent des étoiles, c’est-à-dire de la sphère céleste ; on veut prouver que cette rotation est uniforme, ou, ce qui revient au même, que l’angle de cette rotation est double, triple, etc., pour une durée