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CALINON.le temps et la force

l’intermédiaire des sens ; nous voyons, par exemple, les diverses positions des étoiles, de sorte que chaque position correspond en nous à une sensation, et la simultanéité ou la succession des positions ne sont pas autre chose pour nous que la simultanéité ou la succession des sensations correspondantes, centralisées et comparées par notre cerveau ; l’idée même du temps est donc inhérente au mode de fonctionnement de notre cerveau et ne peut avoir de sens que pour des esprits faits comme le nôtre. Ainsi, cette notion du temps qui est particulière à l’homme, est pour lui un mode de classement qui lui permet de voir les faits dans l’ordre de leur succession, absolument comme dans un dictionnaire on trouve les mots dans l’ordre alphabétique. Cette idée du temps joue d’ailleurs un si grand rôle dans notre existence qu’il nous est pour ainsi dire impossible de comprendre ce que serait cette existence sans une pareille notion ; nous nous bornerons à citer un exemple à l’appui de cette assertion : la conservation de l’individu, homme ou animal, dépend, comme l’on sait, de l’accomplissement de certaines fonctions dont les unes sont involontaires et dont les autres, au contraire, exigent le concours de sa volonté : ainsi, il faut que l’individu veuille prendre des aliments, puis, une fois ces aliments pris, il les digère et se les assimile sans aucune intervention de sa volonté. Mais comment l’accomplissement de ces fonctions volontaires est-il assuré ? L’individu a faim, par exemple ; il souffre, et cet état de malaise le porte tout d’abord à divers actes, et, de tâtonnement en tâtonnement, il est amené à un acte précis, l’absorption des aliments, qui met fin à ce malaise et y substitue un état de bien-être : le fait se décompose ainsi en trois phases : d’abord un état de souffrance, ensuite l’accomplissement de la fonction voulue par la nature, et enfin un état de bien-être. Or, il est évident que si l’ordre de succession de ces trois phases échappait à l’individu, nous ne comprendrions plus du tout que la chose pût se passer ainsi, puisque l’antériorité de l’état de malaise nous apparaît comme la seule cause qui détermine l’individu à agir.

II. De la durée mesurable.

Le temps, avons-nous dit, est aussi une grandeur mesurable à laquelle nous réserverons plus spécialement le nom de durée : précisons bien ce que nous entendons par là. Nous avons constaté les positions successives d’un corps mobile : mesurer le temps, c’est échelonner en quelque sorte ces positions comme on échelonnerait des points sur une ligne droite et faire correspondre des nombres