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nisées qui ont un intérêt collectif. En d’autres termes, ce sont les penchants inter-sociaux qui ont donné naissance au sentiment religieux. La société religieuse n’est pas la société humaine idéalement prolongée jusqu’au delà des astres ; les dieux n’ont pas été conçus comme membres de la tribu, mais ils ont formé une ou plutôt plusieurs sociétés à part situées dans des régions spéciales, les unes amies, les autres ennemies et avec lesquelles les hommes ont entretenu des relations d’un caractère international. Outre que cette hypothèse est plus conforme aux faits, elle permet de comprendre pourquoi la physique superstitieuse des religions est obligatoire, tandis que celle des savants ne l’est pas C’est qu’en effet tout ce qui intéresse la collectivité devient vite une loi impérative ; la société ne laisse pas impunément ses membres faire rien qui soit contraire à l’intérêt social. On s’explique ainsi les analogies et les différences qu’il y a entre les commandements de la morale et ceux de la religion. Telle est la seconde correction que nous nous permettons de proposer à la théorie de M. Guyau.

Ces tendances intellectualistes se retrouvent naturellement dans les deux dernières parties de l’ouvrage où M. Guyau expose comment les religions sont en train de disparaître et ce qui en survivra. C’est ainsi qu’il attribue à la science et à l’esprit critique un rôle prépondérant dans ce travail de décomposition. Si les religions n’avaient jamais eu d’autre tort que de se trouver en désaccord avec les vérités scientifiques, elles seraient encore très bien portantes. Si, malgré ce conflit, les sociétés avaient continué à avoir besoin de la foi religieuse, on en aurait été quitte pour nier la science ; ou bien encore les religions se seraient modifiées et adaptées aux idées nouvelles, car rien ne permet d’affirmer que l’organisme religieux soit arrivé au maximum de souplesse et de plasticité qu’il comporte. En fait, qu’on reprenne les uns après les autres les arguments que la science peut aligner contre la religion ; s’ils sont assez forts pour affermir davantage l’incrédule dans son opinion, il n’en est pas un qui soit de nature à convertir un croyant. Ce n’est pas avec de la logique qu’on vient à bout de la foi ; car la logique peut tout aussi bien servir à la défendre qu’à la combattre ; le théologien pour la prouver ne fait pas de moins beaux raisonnements que le libre penseur pour la réfuter. Admettons, si l’on veut, que chez les esprits très cultivés, les croyances soie (lit devenues assez souples pour pouvoir céder à la seule démonstration ; encore reconnaîtra-t-on que ce n’est pas le cas des foules. Puisque la foi résulte de causes pratiques, elle doit subsister autant que celles-ci, quel que soit l’état de la science et de la philosophie. Pour démontrer qu’elle n’a plus d’avenir, il faut faire voir que les raisons d’être qui la rendaient nécessaire ont disparu ; et, puisque ces raisons sont d’ordre sociologique, il faut chercher quel changement s’est produit dans la nature des sociétés qui rend désormais la religion inutile et impossible.

De même pour pouvoir dire ce qui en survivra, il faudrait savoir ce