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ANALYSES. — h. romundt. L’achèvement de Socrate

raisonnable. Tandis que Diogène et Aristippe fondaient la morale sur la nature seule, Kant la fonda d’abord sur la raison « et il replaça sur ses jambes la philosophie que ses devanciers mettaient la tête en bas. »

Cependant la philosophie pratique appelle une science supérieure du souverain bien, et le passage de la morale à la religion est nécessaire. Kant a effectué ce passage ; il a conçu une métaphysique comme science des fins de l’humanité ; il a annoncé, il a voulu cette science des fins et ne s’est pas arrêté dans le « marécage » où Cohen avec d’autres le veulent retenir.

Nous n’avons pas moins besoin d’une doctrine religieuse certaine que d’une théorie des mœurs. Et dès qu’on cherche la certitude, l’appui de la philosophie apparaît indispensable au christianisme.

L’homme a fait un premier pas vers la religion quand il a cherché à justifier ses actes devant une justice divine. Un second pas plus décisif fut la transformation de la race humaine en un « peuple de Dieu ». Mais ceci fut un événement historique auquel il convient, selon M. Romundt, d’attribuer la valeur d’un événement de la raison. La constitution d’une Église visible était donc un acheminement au royaume de Dieu sur la terre, et maintenant la science religieuse trouvera sa plus haute expression en une « théorie de l’Église visible comme moyen de conduire à une Église invisible. »

Kant, tout novateur qu’il était, n’en était pas moins préoccupé de conserver les églises chrétiennes, et il lui sembla que la constitution des églises protestantes n’excluait pas tout accord avec une religion de la raison. Une croyance morale, disait-il, fait le fond de toute religion. Mais il ne voulait pas laisser la croyance au caprice et il se montrait reconnaissant au christianisme de l’avoir organisée. Il acceptait l’idéal de la perfection morale représenté par Jésus, et il proclamait ainsi la doctrine de la justification par la foi, et non par les œuvres, par la « foi pratique » au type de la perfection, au Fils de Dieu dans la nature humaine. Par là, Kant se rangeait au parti des réformateurs allemands du xvie siècle et au parti de l’apôtre Paul, à qui ceux-ci se rattachaient. Il fut lui-même un nouveau Paul, parce qu’il affirma la foi pratique, et non plus seulement la foi, qu’il permit de cette façon l’amélioration des églises réformées et leur ouvrit les perspectives de l’avenir.

Les lecteurs français jugeront sans doute que la philosophie religieuse de M. Romundt est un peu péniblement construite et que le protestantisme chrétien n’offre pas assez d’espace aux inductions scientifiques. Ils auraient tort cependant de mépriser les tentatives des nouveaux réformateurs et d’en méconnaître le caractère pratique très sérieux. Beaucoup d’entre nous restent encore sous l’influence du déisme philosophique du xviiie siècle et dans l’erreur d’une religion naturelle qui serait une religion individuelle. Une religion est d’abord un fait social, et la valeur pratique d’une religion est d’unir une société d’hommes en un même acte de foi et en une même volonté. Kant était un esprit trop élevé pour ne pas le voir ; c’est pourquoi il se préoccupa d’assurer une existence légitime au christianisme en même temps qu’il annonçait les vérités d’une religion générale, et l’on ne peut pas dire que ses prudents ménagements aient imposé un mensonge à sa doc-