Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIII.djvu/35

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
25
GAROFALO.le délit naturel

C’est ici, pour sûr, que nous rencontrerons les obstacles les plus graves. Comment ! nous dira-t-on, prétendez-vous que la conspiration, la révolte contre le gouvernement légitime d’un pays ne sont pas des crimes ? Mais qu’y a-t-il de plus dangereux pour la société dont on est membre ? Est-ce qu’on n’attaque pas par là de la manière la plus directe la tranquillité publique ?

Et pourtant comment expliquer la sympathie qu’ont toujours inspirée les condamnés politiques, en comparaison de la répugnance qu’inspirent des voleurs, des escrocs, des faussaires ou autres fripons ?

Il y a là une distinction tranchée ; je veux bien qu’on dise crimes politiques, mais lorsqu’on dit crimes tout court, il n’y a pas de place pour les premier.

Cette différence, que la conscience publique ne manque jamais de faire, est exprimée par De Balzac (Peau de chagrin) dans le dialogue suivant, qui a lieu parmi des jeunes gens appartenant à la bohème littéraire :

« Oh ! maintenant, reprit le premier interlocuteur, il ne nous reste…

— Quoi ? dit un autre.

— Le crime…

— Voilà un mot qui a toute la hauteur d’une potence, et toute la profondeur de la Seine, réplique Raphaël.

— Oh ! tu ne m’entends pas. Je parle des crimes politiques. »

Oui, sans doute ; ce sont des actions nuisibles ; l’État doit les réprimer énergiquement, la faiblesse des gouvernements est même une faute énorme ; mais enfin, quel est l’élément d’immoralité qu’elles contiennent ? Le manque de patriotisme ? Elles peuvent dériver d’un sentiment plus noble encore que le patriotisme : le cosmopolitisme ! La désobéissance au gouvernement établi ? Elles peuvent dériver de ce qu’on croit être le vrai patriotisme. Nous avons d’ailleurs montré plus haut pourquoi l’absence de patriotisme n’est plus suffisante de nos temps pour donner à un individu le cachet de l’immoralité.

Il y a pourtant des crimes qu’on appelle politiques et qui sont des crimes même pour nous. Tels sont par exemple l’attentat à la vie du chef de l’État ou d’un fonctionnaire du gouvernement ; l’explosion d’une mine, d’une bombe pour terrifier une ville, etc. Dans de tels cas, peu importe que le but soit politique du moment où l’on a violé le sentiment d’humanité. A-t-on tué ou voulu tuer, hors le cas de guerre ou de défense légitime ? On est, pour cela seul, un criminel ; on peut l’être plus ou moins selon l’intention et les circonstances, et