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Qu’un fils maltraite ses parents ; qu’une mère abandonne ses enfants ; quel est le sentiment réellement blessé par là, celui de la famille considérée comme une agrégation, comme un organisme, ou celui de la pitié, qui est généralement plus vif pour les personnes qui nous appartiennent par le sang ?

C’est même cette universalité du sentiment de pitié pour ses parents ou ses enfants qui rend criminelles des actions qui ne seraient pas telles s’il s’agissait d’autres personnes. Bien au contraire, l’idée de la communauté de famille, idée traditionnelle, et qui subsiste toujours en dépit des lois, retranche le caractère criminel de certaines attaques à la propriété, comme le vol entre père et enfants, mari et femme, frères et sœurs. Ce n’est pas le sentiment de famille qui l’emporte sur celui de la probité ; c’est plutôt l’improbité qui n’existe pas là où tous se croient les maîtres.

La désobéissance à l’autorité paternelle n’est déjà plus depuis longtemps classée parmi les délits ; mais l’adultère a toujours sa place dans le code. Que l’adultère soit nuisible à l’ordre de la famille, qu’il soit immoral à ce point de vue, il n’y a pas le moindre doute. Toutefois, sauf quelques cas exceptionnels, il ne blesse pas directement les sentiments altruistes élémentaires. Ce n’est que l’oubli d’un devoir, l’inobservation d’un pacte, et, comme dans tout autre contrat, cela ne devrait donner à la partie qui en souffre que le droit de faire dissoudre l’engagement. Nous n’en sommes pas arrivés là encore ; pourtant, nous voyons dans l’histoire la diminution toujours croissante des peines infligées à l’adultère qui, depuis la lapidation israélite, la fustigation allemande, le pilori et les autres supplices du moyen âge, n’est plus menacé de nos jours que de quelques mois de prison correctionnelle.

Bref, ce qui n’est que la violation d’un droit, ce qui ne blesse ni le sentiment de pitié, ni celui de probité, ne saurait plus être considéré comme un crime par l’opinion publique. Ce sont ces sentiments qui souffrent de la bigamie, ou encore des fausses qualités qu’un aventurier s’est attribuées pour parvenir à se fourrer dans une honnête famille. Voilà ce qui devrait être un crime et qui, pourtant, ne l’est pas. Un mariage obtenu par escroquerie soulève l’indignation universelle, bien plus que l’oubli d’une femme qui ne sait pas résister à l’amour défendu ! On a beau comparer l’adultère à un larcin ; l’amour n’est pas une propriété ; si un contrat a été violé, tout ce qu’on peut exiger, c’est la résiliation du contrat.

L’adultère est, en quelque sorte, le délit politique de la famille. On pourra y appliquer plusieurs des considérations que nous allons faire au sujet du délit politique.