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rience ; elle devrait montrer, en d’autres termes, comment de la nature même de certaines combinaisons ou fonctions matérielles résultent les phénomènes de la vie psychique. Or, que savons-nous, par l’expérience, des objets et des phénomènes matériels ? La science expérimentale est parvenue d’elle-même à nous en révéler définitivement la nature, depuis la découverte de l’équivalent mécanique de la chaleur et de la loi de la conservation de la force. Les forces, considérées auparavant comme distinctes, ne sont pour nous désormais que des modifications du mouvement. Dans toutes ces transformations, la quantité de l’énergie reste la même. Il est donc prouvé expérimentalement que, dans le monde des corps, tout s’explique par les lois de la mécanique. Les corps n’ont pas de qualités proprement dites ; les différences qualitatives des substances chimiques n’existent que dans notre perception. Considérées en elles-mêmes, indépendamment de notre perception, l’action et les modifications de toutes ces substances se réduisent à des mouvements et à des transmissions de mouvement. Il est dès lors évident que les phénomènes de la vie spirituelle, les sensations, les pensées, les volitions, etc., ne peuvent pas être expliqués par la nature des corps et de leurs fonctions. Il n’y a pas la moindre communauté de nature entre le spirituel et le matériel. La dépendance incontestable de la vie psychique par rapport aux substances et aux fonctions matérielles ne peut, à aucun degré, s’expliquer avec les seules données de l’expérience. Et il ne servirait de rien de dire que la nature intime des corps ne nous est pas encore connue, qu’un jour viendra, peut-être, où nous serons plus savants, où nous pourrons rendre compte de la vie spirituelle au moyen des fonctions des organes. La science est parvenue, en fait, à un résultat définitif ; il n’est plus à craindre ou à espérer qu’elle découvre jamais les qualités occultes qui ont tant préoccupé le moyen âge. D’ailleurs, à l’exemple de Descartes, on peut déduire a priori la même conséquence de l’idée même de corps, conçu comme objet étendu et remplissant l’espace. Il y a plus : ne suffit-il pas de se rappeler que le monde des corps nous apparaît comme absolument étranger et extérieur à nous ? Pour expliquer notre vie spirituelle par des données matérielles, il faudrait, en effet, prouver d’abord que ce qui m’est étranger ne m’est pas étranger, que je suis moi-même ce que je reconnais comme un objet extérieur.

Si maintenant nous considérons notre vie psychique, nous y rencontrons aussi des faits dont les seules données de l’expérience sont impuissantes à rendre compte. De tout temps on a distingué de la psychologie proprement dite la morale et la logique. On a toujours séparé, dans l’homme, une partie physique, pour ainsi dire, qui fait