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PENJON.une forme nouvelle de criticisme

l’objet de la psychologie, et une partie non physique qui constitue notre nature morale. Ce que nous désignons ici par le mot physique c’est proprement ce qui est, par opposition à ce qui doit être. Nous avons en propre la notion qu’il y a dans notre nature physique des choses qui ne doivent pas être, et nous sommes par là des êtres moraux. Celui qui ne posséderait pas, au moins en germe, cette notion, ne se distinguerait pas de la brute. Mais tout, dans la nature, se produit suivant des lois invariables. Comment pouvons-nous donc affirmer que ce qui est ne doit pas être, n’a pas le droit d’exister ? Il faut que nous possédions une règle, une norme, que nous n’avons pas puisée dans l’expérience, qui est supérieure au monde physique et suivant laquelle nous jugeons. Le fait seul que l’homme juge prouve l’existence de cette règle. Ce droit de juger, on le lui reconnaîtrait par le fait même de le contester, car on l’exercerait soi-même en le contestant. Peu importe, d’un autre côté, au point de vue où nous nous plaçons, que nous portions souvent des jugements faux : ces jugements faux, en effet, prouvent non pas l’impossibilité, mais la possibilité, au contraire, des jugements vrais, et, par suite, la présence en nous d’une ou de plusieurs règles qui leur servent de fondement.

Précisons maintenant les termes du problème : qu’y a-t-il, dans notre nature physique, qui soit sujet à condamnation, dont on puisse nier le droit à l’existence ?

Notre nature présente deux éléments distincts : d’une part, ce qui pense et connaît ; de l’autre, ce qui sent et veut, en nous. Dans le domaine du sentiment et de la volonté, ce qui n’a pas le droit d’exister, c’est le mal et l’injustice ; dans le domaine de la connaissance, c’est l’erreur et l’illusion, le faux, en général. Or, que faisons-nous quand nous condamnons, d’un côté, le mal et l’injustice, et, de l’autre, l’erreur ? Nous constatons que le faux et le mal sont quelque chose d’anormal, d’opposé à la règle ou à la norme dont nous avons conscience. Notre conscience nous certifie donc l’existence, dans la réalité, d’une opposition radicale, essentielle, entre la norme et l’anomalie. Dans notre nature physique, le bien et le mal, le vrai et le faux sont mêlés et comme tissés ensemble ; il est souvent difficile d’y reconnaître le bien et le vrai ; nous avons cependant la certitude que le vrai et le faux, le bien et le mal sont, de leur nature, opposés, et ne peuvent procéder de principes communs. Sur cette certitude reposent la moralité et la possibilité de former des jugements. Comme il y a deux sortes de jugements, le jugement logique, qui consiste à discerner le vrai du faux, et le jugement moral, qui prononce sur le bien et le mal, il y a aussi des règles logiques et des règles morales qui différent entièrement des lois physiques.