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PENJON.une forme nouvelle de criticisme

tout à fait inconcevable pour nous, l’expérience nous le présente à chaque pas, à savoir des objets qui ne possèdent pas de nature propre, dont la nature est un produit de causes extérieures et antérieures à eux ; ce ne sont donc pas des substances. Et cependant, malgré ce désaccord entre le concept d’un objet, tel que nous le trouvons en nous a priori, et la nature des objets de l’expérience, la norme de notre pensée est le principe de toute vérité, de toute certitude rationnelle dans la connaissance de ces mêmes objets. Comment cela ?

Un objet qui a une nature propre est un objet absolu, indépendant de tout ce qui n’est pas lui. La norme de notre pensée est donc le concept de l’absolu ; elle exprime la nature normale ou absolue des choses, et tout ce qui dépend de conditions est, par suite, en dehors de son domaine. Voilà pourquoi les objets de l’expérience, qui dépendent de causes et n’ont, par conséquent, pas de nature propre, ne s’accordent pas avec la norme de la pensée. Mais il n’y a pas non plus contradiction entre cette loi et les données de l’expérience. Les objets empiriques ont bien sans doute plusieurs qualités, mais ils ne les possèdent pas en propre, parce qu’ils ne sont pas des objets réels et que leur unité est purement formelle. Un même corps peut être en même temps cubique, blanc et doux ; mais c’est qu’il n’existe pas comme unité substantielle. L’expérience ne nous fournit, en réalité, que des sensations, et ces sensations diverses nous apparaissent faussement comme un seul corps dans l’espace. Il en est de même du moi qui renferme dans son unité une grande diversité de qualités et de déterminations. Notre moi n’est pas, lui non plus, une unité réelle ; il n’est qu’une forme d’unité sous laquelle nous apparaissent les données de notre expérience intérieure. L’unité dans la diversité, et la diversité dans l’unité peuvent donc exister et n’impliquent pas contradiction, à la condition seulement d’être un produit de causes, de n’avoir pas de caractère absolu.

Mais si un objet d’expérience avait deux déterminations différentes dans la même qualité ou sous le même rapport, par exemple si un corps était à la fois cubique et rond en même temps, cette réunion du divers aurait un caractère absolu, le rond lui-même serait cubique et le cubique serait rond par sa propre nature, ce qui est incompatible avec le principe de contradiction et avec le concept fondamental qu’il exprime.

Nous voyons donc comment la norme de notre pensée trouve son application dans le domaine de l’expérience qui, par sa nature, n’est pas conforme à cette norme. Un objet réel ne pouvant renfermer de diversité dans sa nature propre cu absolue, une unité absolue de la